A l’occasion de l’avalanche des plans de restructuration dans l’industrie, Médiapart a interviewé Christian Corouge, figure du mouvement ouvrier dans l’automobile à Peugeot Sochaux (25), et cela depuis mai 1968. Ouvrier spécialisé, cinéaste après mai 68 (avec le groupe Medvekine et Chris Marker), mais aussi grand (re)chercheur et (on peut le dire) « intellectuel » des ouvriers-ères, Christian Corouge a été l’inspirateur de travaux réguliers sur la classe ouvrière (depuis très longtemps avec le sociologue Michel Pialoux et dernièrement dans « Résister à la chaîne. Dialogue entre un ouvrier de Peugeot et un sociologue » (Agone, 2011). Dans cette interview réalisée par Mathieu Dejean , il donne aussi un point de vue sur la situation de la gauche, sur le vote RN, l’abstentionnisme ouvrier et la « représentation » politique : « il n’y a pas de députés ouvriers« .
A lire en entier dans : www.mediapart.fr
Ci contre Christian Corouge dans le documentaire ARTE : « Le temps des ouvriers »
Christian Corouge : « La gauche est dans le marasme parce qu’elle ne veut pas parler de lutte des classes »
Extraits :
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Dans le pays de Montbéliard, quels effets politiques les suppressions d’emplois ont eus, à long terme, sur les gens et sur le territoire ?
Politiquement, c’est la disparition quasi complète de la gauche, c’est un désastre. Dans les quartiers populaires, à partir du moment où il n’y a plus eu de militants politiques ou syndicaux, on n’a plus parlé des vraies luttes, de l’enrichissement des actionnaires… La colère s’est déportée sur des conneries, des faits divers.
Heureusement qu’à un moment donné les Insoumis sont intervenus dans le jeu politique pour redonner une fierté au groupe ouvrier. La première élection où Jean-Luc Mélenchon s’est présenté, il n’a pas fait un chiffre ridicule. C’est important d’être fier d’avoir d’autres couleurs politiques que celles de la direction.
« Le parti de la classe ouvrière, pour l’instant, c’est d’abord l’abstention. »
Mais moi qui suis militant depuis longtemps, je ne trouve plus personne pour me représenter comme député. Souvent ils sont attachés parlementaires et passent députés comme dans un déroulement de carrière. C’est aussi une des causes de la désaffection : il n’y a pas d’élus ouvriers, il n’y a pas de députés ouvriers, on a l’impression d’ovnis. Ce n’est pas motivant, pas entraînant. Les gosses d’ouvriers, souvent, baissent les bras.
La gauche est-elle en mesure de leur apporter une réponse politique ? Vous semble-t-elle être revenue de sa « parenthèse libérale » ?
Je pense que le discours de Mélenchon est intelligent, construit, historique. Il rappelle des souvenirs glorieux de la classe ouvrière, qu’il n’a pas abandonnée, et
c’est important. Mais comment ça va se traduire ? On se souvient de ce que Podemos et Syriza sont devenus. Il faudrait une politique beaucoup plus ambitieuse, notamment sur l’Europe libérale : il faut tout faire éclater, même si ça me gêne de le dire car je ne suis pas nationaliste. Les syndicalistes allemands ou belges le disent aussi : on ne peut plus avoir des directions mondiales d’entreprises.
On voit bien que la peste brune est à nouveau là, la bête immonde revient. En France, les médias ont une part de responsabilité lorsqu’ils diffusent l’idée que le RN est le « parti de la classe ouvrière ». Ils se trompent : le parti de la classe ouvrière, pour l’instant, c’est d’abord l’abstention.
« Quand on prend une carte à la CGT, on devient différent des autres prolos, on fait un choix politique. »
Mes copains, pour ceux qui ne veulent plus voter PC et qui en ont marre de Mélenchon, ne votent pas RN. C’est très humiliant pour nous d’entendre dire que les ouvriers votent RN. On se bagarre tous collectivement contre ça. Les mecs du RN n’osent pas venir coller [des affiches – ndlr] dans les patelins ouvriers, car ils savent que les gosses vont leur courir après. Bien sûr, il y en a qui votent RN, mais ça a toujours été comme ça.
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Mathieu Dejean – 15 novembre 2024