Samedi 28 février 2015, à la Bourse du travail de Saint-Denis, s’est tenue une « Rencontre » ou « Forum des mouvements sociaux« . Il s’agissait de croiser les expériences et les débats entre acteurs-trices syndicaux et associatifs de toute nature. L’Union syndicale Solidaires y a joué un rôle moteur et nous reproduisons plus loin ci-dessous un article de son journal Expressions solidaires N° 69 de février 2015, qui présente sa vision de ce projet. Etaient sollicitées ou présentes les organisations suivantes : ATTAC, CNT-SO, FASTI, MNCP, Les Amis de la Terre, AC !, MOC, CIP, Collectif Roosevelt, DAL, AITEC/IPAM, Confédération Paysanne, fondation Copernic, Marche mondiale des femmes, CNDF, Réseau féministe rupture, des Décroissants, réseau COP 21, collectifs Alternatiba… La FSU avait été sollicitée, mais n’a pas donné suite. Pour la CGT, seules des organisations particulières ont été sollicitées (présence d’une militante de l’UD CGT de Paris, sur la lutte des sans-papiers). Nous commençons par rendre compte de notre propre regard (partiel), de cette journée à la fois riche en interrogations sur les réalités militantes et sur les mots qui les désignent, riche en témoignages sur ce que signifie lutter aujourd’hui, dans divers lieux syndicaux ou associatifs. La conclusion de la journée et les engagements pris en commun semblent en-deçà de ce qui était attendu, car là comme ailleurs, tout avance lentement. Notre « regard » est le résultat de la participation à une commission sur « les formes de luttes aujourd’hui » et d’une autre dont le thème était commun à quatre groupes : « Quelles convergences, quelles constructions communes, quels élargissements possibles?« . Nous notons seulement quelques « croquis » ou préoccupations significatives relevées au hasard des échanges. Tranches de débats par Dominique Mezzi :
- « Grève sociale 1 » : Vanessa (du site italien: www.dinamopress.it) raconte la propagation de cette notion en Italie dans les derniers mois, accompagnant la lutte contre la loi jobs act imposée par le premier ministre M. Renzi en septembre 2014 pour faciliter les licenciements et précariser le travail, notamment dans les contrats d’embauche. Les syndicats italiens ont été à l’initiative d’une riposte traduite par une grande grève (un million de personnes à Rome en décembre dernier). Mais l’originalité du concept de « grève sociale » est de chercher à mobiliser celles et ceux qui ne peuvent pas faire grève pour quantités de raisons. L’idée est de s’appuyer sur la grève annoncée des salarié-es pour construire un mouvement parallèle avec les précaires, les occupants de maisons et d’immeubles (actions très nombreuses en Italie), en s’adressant à toutes les personnes non directement impliquées dans l’action syndicale (chômeurs, jeunes précaires, étudiants-es, occupants de maisons…) pour qu’elles trouvent elles-mêmes des formes d’action appropriées. La date choisie fut le vendredi 14 novembre (voir ci-dessous l’affiche d’appel let’s strike). Les initiateurs de cette forme d’action ont été les premiers surpris de sa « propagation virale » (comme le dit Vanessa), d’une ville à l’autre, d’un mouvement à l’autre, certains mouvements s’appropriant l’idée, le logo commun, et les traduisant à leur façon. Au total, 40 villes furent concernées. Un meeting à Rome a eu lieu également. Des sortes de « laboratoires locaux » d’action se mettent en place. Les syndicalistes de base, les COBAS, la confédération CUB, et la fédération de la métallurgie (FIOM) de la Confédération générale italienne du travail (CGIL) ont soutenu l’initiative (mais pas la CGIL ni les autres confédérations). Ont émergé des exigences autour du salaire minimum, d’un revenu de base commun, et du refus du travail gratuit. Selon Vanessa, qui décrit une Italie où les luttes sociales, comme en France, sont depuis quelques années plutôt sur le déclin, « il ne s’agit pas ou plus de trouver une vision du monde commune, car c’est impossible« . En somme, chaque secteur exprime son désir de participer à sa façon et il s’en dégage des convergences.
- Grève sociale 2. La notion de « grève sociale » était déjà présente dans le grand mouvement des étudiants québéquois de 2012 dont nous reproduisons ici un extrait d’appel : « …Et puis il y a cette idée que la grève n’est pas nécessairement uniquement le fait de salariéEs. Elle peut être beaucoup plus large, même jusqu’à être sociale! La société au sens large peut décider de prendre son avenir en main de faire grève et de lutter pour RÉDUIRE ou FAIRE CESSER définitivement l’exploitation ou l’oppression. Donc, c’est quoi une grève? Pour être concis nous nous proposons de la définir ainsi :Actions collectives d’un groupe d’oppriméEs cessant temporairement (et potentiellement définitivement) de perpétuer leur propre oppression« .
- Grève sociale 3. Le site du Collectif des intermittents et précaires d’Ile de France (CIP-IDF) explique sa vision du mouvement italien : » La grève sociale a connu un véritable succès en Italie : plus de 100 000 personnes se sont mobilisées dans vingt-cinq villes. Les médias traditionnels qui, depuis des semaines, ne mentionnaient les critiques du Jobs Act que lorsqu’elles émanaient des confédérations syndicales, ont été obligés d’admettre la réussite des manifestations des précaires et des chômeurs. Mais la grève sociale a été bien plus : une grève des syndicats de base (Cobas, Ubs, etc.), des occupations en chaîne dans les lycées et dans les facs, des blocages des transports de marchandises de la part des travailleurs, des actions contre les entreprises qui exploitent les précaires et les empêchent d’exercer leur droit de grève, des blitz informatiques contre les sites Web du gouvernement. Pour la première fois, le monde du travail intermittent s’est identifié à la grève, s’est exprimé, a occupé l’espace des médias et les réseaux du Web, et a partagé les mêmes pratiques de lutte. Ce mouvement existe depuis deux mois, il a été organisé par les réseaux militants des centres sociaux, avec les syndicats de base, avec de simples employés, des travailleurs précaires, des chômeurs. Depuis, des laboratoires de la grève sociale ont fleuri dans de nombreuses villes, du Nord au Sud de l’Italie. Ils veulent tous donner suite à cette mobilisation. La journée du 14 novembre n’a pas été seulement une étape pour un nouveau syndicalisme social, dans et hors emploi, en lutte contre le Jobs Act en Italie, il a une plus grande ambition : donner la parole à la production sociale diffuse et sans garantie dans l’Europe entière » (Interluttants, N° 34, décembre 2014).
- Zadisme. Un zadiste témoigne dans la commission « formes d’action » : « Dans une ZAD, les personnes ne rentrent pas chez elles le soir. Leur vie est là. C’est une micro-société. On ne cherche pas à renverser le pouvoir d’en haut, on le fait descendre (la police notamment). C’est différent des « politiques », car on expérimente à la base. C’est différent de la « grève », car nous agissons sur les conditions de la vie humaine. Il n’y a pas de succès, mais pas d’échec non plus. Nous cherchons à habiter le monde, pas à le surplomber. Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend. Il faut apprendre à ne pas respecter la loi, la propriété privée, les machines. Nous ne savons pas définir ce qu’est un « zadiste » par une sorte de regard extérieur. La convergence part d’une vision d’en haut. La non convergence, c’est la vie. La non convergence, c’est salutaire ».
- classes moyennes, classes populaires. Annie P: « L’idée de formes d’action n’est pas la bonne question. Le problème est le contenu de l’action, le sens commun. Les indignations les plus fortes ne sont pas exprimées par le mouvement, mais par Marine Le Pen. Nous en sommes responsables. Nos mouvements défendent les classes moyennes. Ils sont en rupture avec les classes populaires ».
- Solidarité en Europe, mais par l’enracinement local? « A Ivry sur Seine, nous avons un Forum social local depuis dix ans. En liaison avec le Forum social mondial. La solidarité, par exemple avec la Grèce, c’est quoi? La question prioritaire est la recherche d’un enracinement local. La question est la relation du « local » avec le mondial, avec l’Europe. L’enjeu est bien la Grèce, qui ouvre une brèche. On la laisse tomber? Non. C’est un enjeu majeur. Et nous ne sommes pas à la hauteur. Mais le 18 mars à Francfort (Blockupy Francfort contre BCE), s’il faut bien sûr en être, ne peut répondre totalement. Il faut y répondre en restant dans nos quartiers. Il faut discuter de deux ou trois exigences partout en Europe. Comme ce qui a été dit sur l’Italie : salaire minimum, revenu de base, pas de travail gratuit, droits des migrants. Pourquoi pas le même jour dans toute l’Europe une action dans nos quartiers: « Tous des grecs » entre 11h et 12h par exemple? ».
- Ne pas parler à la place de…Il s’agit donc des chômeurs. « Depuis janvier, nous faisons une action en fin de mois sur une place symbolique quand sont connus les chiffres du chômage. Mais nous ne reprenons pas « leurs » chiffres. Nous avons d’autres chiffres, par exemple combien de morts dans la rue. Il ne faut plus parler à la place des chômeurs, même dans nos associations de chômeurs. Il faut les impliquer. En mars, nous ferons notre action devant l’Assemblée nationale. L’Europe? La Grèce? Oui, mais dans nos associations, l’Europe est loin. Tu me parles de la Grèce, mais moi je crève ici. C’est très difficile de parler le même langage entre nous ».
- Migrants. En Grèce, ils ferment les centres de rétention!
- Valeurs. Roger : « Distinguer le prioritaire du secondaire. D’abord se mettre d’accord sur nos valeurs. Il faut former des collectifs associatifs partout dans nos quartiers et villages et se coordonner. Peut-être avec les mouvements politiques, mais pas derrière ».
- Social, sociétal. Jean-Baptiste : « Aller dans les quartiers populaires, cela n’a pas de sens en soi. Sauf pour y faire une action concrète et précise : s’opposer aux expulsions ou aux démolitions d’immeubles. Nous ne parlons pas assez des richesses accumulées et de la paupérisation. Les questions sociétales prennent trop le dessus sur les questions sociales ».
- Vie décente, bonne vie. Parler du salaire minimum, du revenu de base, du refus du travail gratuit, des droits des migrants, c’est en fait parler de « vie décente ». Ne pas séparer emploi et revenu. Parler d’abord revenu. Parler droit au salaire. Parler du travail. La commission européenne parle d’emploi. Parlons du travail. La vie décente? Cela fait un peu court. Parlons de la « bonne vie ».
- Visibilité: un moment commun de visibilité à définir autour de la grève du 9 avril (annonce CGT, FO, Solidaires) et de la fin de trêve hivernale le 21 mars. Répartir les richesses pour une vie décente pour tous. Un rendez-vous mensuel avec les chômeurs-euses et précaires à chaque fin de mois, en ciblant la Banque de France, qui a des succursales partout sur le territoire, et qui est maillon du système européen et de la BCE.