Le journal en ligne Cerises, devenu «Cerises, la coopérative», a publié dans son numéro 42 de décembre 2022 plusieurs articles sur le thème : « la portée politique des luttes« . Nous le remercions de nous autoriser à publier cette contribution d’Olivier Frachon, syndicaliste, sur la question « syndicalisme et politique » .
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Syndicalisme et politique maintenant!
Les résistances et les luttes actuelles nous interrogent sur la place qu’occupent les associations comme les organisations syndicales dans la construction d’alternatives. Et derrière ce questionnement quels rapports entre organisations politiques, syndicats et mouvements qui relèvent des combats sociaux, sociétaux et environnementaux.
Il se trouve qu’avant d’écrire ce texte j’ai lu la biographie de mon grand-père écrite par Jacques Girault. Ce qui a modifié ce que j’avais l’intention d’écrire, la conclusion de ce livre résumant ce que je voulais exprimer sur cette problématique finalement intemporelle. Notamment parce que la conclusion de cet ouvrage résume ce que je pense :
“En revanche, la totale ambiguïté sur la notion programmatique révèle finalement un malaise non réglé sur les rapports du syndical et du politique. Dans un premier temps, le politique, selon lui, englobe le syndical. Tout se passe comme si, depuis l’unification de 1936, il poussait à l’autonomisation progressive du syndical, contrebalancée par une nouvelle forme de dépendance, les dirigeants communistes contrôlant les rouages syndicaux, en s’efforçant d’exprimer, en termes syndicaux, la diversité des aspirations et en associant des ouvriers de sensibilité différente… Alors que la plupart des autres dirigeants raisonnent souvent jusque dans les années 60 en terme de prise de contrôle politique, Frachon, expérience syndicale oblige, pense qu’il faudrait que le monde du travail – et pas seulement la classe ouvrière – se saisisse de tous les rouages économiques et sociaux, qu’il les pénètre, afin que la prise du pouvoir, le jour venu, ne touche pas seulement l’appareil d’Etat.”[1]
S’agissant des syndicats la question de leurs rapports à la politique et aux partis a fait l’objet de nombreux débats, de la charte d’Amiens au début du 20ième siècle au rôle et au poids qu’a occupé le parti communiste dans la vie de la CGT. Corollaire de ce questionnement, quel rôle et quel place un syndicalisme de transformation sociale (il faudrait rajouter aujourd’hui et de transformation écologique) peut-il prendre dans la construction d’alternatives, qu’elles soient immédiates ou projetées ?
J’avais initialement prévu de répondre à cette question à partir de mon expérience personnelle, militant syndical, communiste depuis ma jeunesse, j’ai trouvé dans le syndicalisme un outil pour, à partir des revendications émergeant sur le lieu de travail, agir aussi sur les rapports sociaux et construire des alternatives. Avec le sentiment que le concret des constructions revendicatives, s’il était loin de la prise du pouvoir d’état, permettait d’alimenter un “déjà là” et de changer la réalité et de “faire évoluer les consciences” selon les termes de l’époque ! Réfléchissant à ce que j’allais écrire (et influencé par ma lecture récente) je me posais la question suivante : Marcel Paul et Ambroise Croizat étaient-ils des ministres communistes ou des ministres “syndicalistes” ? Écrivant cela je ne veux pas ignorer leur engagement mais interroger sur les sources, l’expérience et les savoirs qui ont conduit à leurs projets, la Sécurité Sociale, la nationalisation de l’électricité et du gaz et le statut des personnels concernés. Ce que certains considèrent comme des “déjà là” du dépassement du capitalisme n’est pas sorti de nul part mais des revendications et des acquis des luttes des salariés, avec parfois des mises en œuvre existantes localement. Ambroise Croizat et Marcel Paul ne se sont-ils pas appuyés dessus dans leur fonction ministérielle ?
Cette problématique ne peut être l’apanage de la seule zone CGT-PCF ; Du côté du réformisme, la question est aussi posée même si historiquement elle a pu avoir diverses formulations (lien à la « 3e gauche », social-démocratie PS ; social-macronisme de Berger, …). Les liens entre une partie de l’appareil FO et la SFIO puis le PS ont été évidents, avec les lambertistes, de même.
C’est une banalité que de rappeler que le rôle et la fonction du syndicat est de rassembler les salariés autour de leurs revendications, en particulier et d’abord autour des revendications portant sur les salaires et les conditions de travail. Mais parce que le support de ce rassemblement est le travail, les collectifs de salariés ont de tout temps porté d’autres revendications sur l’organisation du travail, sur ses buts comme sur ses moyens. Des revendications qui contestant la subordination portent aussi une véritable dimension politique remettant en question l’organisation de la société (à commencer par la propriété !). N’est-ce pas ce que traduisent aussi les questionnements autour de la perte du sens du travail, les démissions comme les résistances collectives ? Parce qu’elles concernent les organisations économique et industrielle, parce qu’elles impactent aussi le pourquoi et le comment de la production, ces revendications possèdent une dimension politique incontournable et non délégable à une organisation politique[2]. Et confèrent aux syndicats un rôle et une place irremplaçable dans la construction d’alternatives.
Des dérives ou des « fossilisations » ont restreint la crédibilité du syndicalisme comme du politique. A jouer les super revendicatifs ou les réducteurs d’acquis sociaux, les partis ont affaissé leur vigie sociétale, réduit leur visée de transformation de la politique et se retrouvent en concurrence (ex. la FI) avec le syndicalisme. Quelle société voulons-nous ? Quel parti y répond aujourd’hui ou a minima propose des axes d’orientation pour y répondre et construire ?
Si la création du collectif « PJC – Allaince écologique et sociale » ou des luttes comme celles de La Chapelle d’Arblay ou de la raffinerie de Grandpuits ouvrent de nouvelles perspectives elles ne peuvent conduire à ignorer « l’a-syndicalisation structurelle » qui conduit au grave déficit de puissance qui est celui du syndicalisme aujourd’hui[3]. Trop resté le syndicat des « travailleurs » bénéficiant de garanties collectives ou de statuts, il n’a pas su s’adapter aux transformations socioéconomiques qui l’ont mis en porte à faux avec sa base sociale présumée ; les sans-emplois et précaires en ont été marginalisés ; incapable, jusque dans ses structures, d’incarner le point de vue du camp social de tous ceux qui travaillent : salarié.e.s, précaires, exclu.e.s, autoentrepreneurs, petits paysans, salariés masqués des trusts agroalimentaires, TPE et PMI sous-traitants captifs de grands groupes du CAC40. Sans parler de l’ESS et de l’économie alternative dont les syndicats ignorent de fait toute autre dimension que patronale (employeur). C’est cette réinvention qui reste à gagner.
Quant aux partis leur rôle n’est-il pas moins de gérer et de diriger la société que d’ouvrir des espaces de production politique et d’expérimentation, laissant à la mobilisation populaire la responsabilité d’autogérer la société ?
L’affaiblissement actuel du syndicalisme ne peut nous conduire à oublier que l’action des syndicats a aussi été d’apporter des réponses concrètes aux revendications, en fonction des rapports de force, raison pour lesquelles ils se sont aussi impliqués dans la gestion de structures sociales, dans le développement de l’éducation populaire, du tourisme social… Toute tendance à ne pas considérer les syndicats comme composante autonome et à part entière de la transformation écologique et sociale ne nous ramène-t-elle pas de fait à cette conception ancienne de la politique, la prédominance du parti qu’elle soit bolchevique ou social-démocrate[4] ?
[1] Jacques Girault, “Benoît Frachon, communiste et syndicaliste” Presse de la fondation nationale des sciences politiques
[2] Thomas Coutrot et Coralie Perez “Redonner du sens au travail Une aspiration révolutionnaire” Seuil La république des idées
[3] Jean-Marie Pernot « Le syndicalisme d’après – Ce qui ne peut plus durer » Éditions du détour
[4] Voir Bruno Trentin “La cité du travail. Le fordisme et la gauche”