Cette tribune, soumise à signature, parue dans Le Monde du 6 mars, est déjà signée par des resonsables syndicalistes CGT, FSU, Solidaires, associatifs (dont DAL), et des personnalités.
Sans logis : l’intolérable doit cesser, aujourd’hui !
Le Monde, 6 mars 2019
Tribune. Ils vivent dans des cabanes près du périph’, en campings, dans des hôtels et sont expulsables à toute heure. Ils dorment sans chauffage, sans sanitaires ni eau, dans des voitures, des chantiers, des parkings. Ils sont 150 000 sans abri, 200 000, combien ? L’équivalent du Havre, de Grenoble ou de Rennes, jetés à la rue, laissés dans la rue, mangés par la rue, abandonnés. Ces gens sans toit qui errent, sont-ils à ce point invisibles ?
Leur nombre croît car les loyers augmentent, les APL baissent, le chômage dure, et de moins en moins de logements sont construits pour les plus pauvres. Qui s’en occupe à hauteur des besoins ? La France, pourtant, compte 1,5 million de logements vacants collectifs, 296 000 situés à Paris (Insee, 2018). Ce sont pour la plupart des immeubles laissés vides par des fonds d’investissements, des grandes entreprises voire des organismes d’Etat, qui très souvent spéculent sur la hausse de l’immobilier. Or la loi DALO (Droit au logement opposable, mars 2007) impose au préfet de reloger sous six mois toute personne sans logis, en détresse, menacée d’expulsion ou très mal logée, après examen de sa situation par la commission ad hoc. Le droit à l’hébergement jusqu’au relogement est dans la loi : c’est à l’Etat de l’assurer !
Les mots ne diront jamais assez, ce qu’est vivre à la rue, cette descente aux enfers, la violence sans répit, qui casse, détruit. La rue est torture, condamnation à mort ; une mort lente, seule, seul. La rue, ce sont très vite des plaies aux pieds, les jambes blessées qui s’infectent, les dents, les gencives, des bronchites pas soignées, les raclées pour un banc correct, sans ces inclinaisons ou ces pics qu’installent les mairies.
La rue, ce sont toutes les affaires volées ; des jours à traîner, fuir, perdu, méprisé, insulté, chassé ; alcool et came, quand tout lâche. La rue, ce sont les viols aussi. Un SDF sur trois est une femme. La rue, c’est la rage qui tord le ventre, impuissante, ne rien pouvoir faire, rien à espérer. Rien à manger. Trouver chaque soir où dormir, mais on n’y dort pas ; des nuits à se cacher. Qui pourrait s’en sortir ?
C’était un dimanche. Tôt. Une nuit froide. Dehors à Paris. Jacques s’est engourdi dans cette rue du 10e arrondissement, blotti sur son sac. Nous dormions, il est mort. La vie entière dans ce sac serré sur son ventre. On laisse mourir tous ces gens, car leur droit à être hébergés et logés est bafoué. Mais ils sont, également, victimes de notre indifférence. Nous nous sommes progressivement accoutumés. Que faisons-nous contre l’inacceptable ? De 2012 à 2016, 3 000 personnes seraient mortes par an dans la rue (selon un rapport de la Fondation Abbé-Pierre de 2018), mortes par la rue, sans funérailles ; un mort toutes les 3 heures.
49 ans d’espérance de vie
On y meurt l’été autant que l’hiver. L’espérance de vie dépasse 80 ans en France, elle est de 49 ans dans la rue. Une fois dans la rue, tu meurs quinze ans plus tard. Sans cesse plus de femmes, d’enfants, de mineurs, d’handicapés, de vieillards, de réfugiés, deviennent SDF. La faute aux SDF eux-mêmes ? Avec la spéculation immobilière des années 2000, en dix ans, le prix des logements a augmenté de plus de 100 % et les loyers de 50 % ! Que de profits réalisés, et que d’êtres humains sacrifiés ! Les demandes d’hébergement d’urgence ? En violation de la loi, elles ne sont pas satisfaites pour 53 % d’entre elles dans les Bouches-du-Rhône, 75 % à Paris, 83 % en Seine-Saint-Denis et dans le Rhône.
D’autres initiatives d’aide existent. Tant mieux. Elles sont utiles mais tellement insuffisantes face à l’urgence. Peut-on laisser faire ? Pour les SDF, il n’y aurait aucune solution ? Pas du tout. Elle est dans la loi, répétons-le. Dans l’ordonnance de 1945, complétée en 1998 : le représentant de l’Etat dans un département peut réquisitionner des logements vacants, durant un à douze ans. Les propriétaires perçoivent une indemnité et ne peuvent se soustraire à la réquisition sous peine de sanctions pénales. Sous six mois donc, il est possible d’assurer, décemment, un toit à tous les sans-logis. Il faut commencer tout de suite. Mais ce n’est pas fait, car seraient bousculées (un peu mais vraiment si peu !) les spéculations immobilières et les patrimoines des plus riches.
Si les pouvoirs publics ne le font pas, nous le ferons seuls. Nous qui signons ce texte, demandons aux maires de prendre des arrêtés de réquisitions et anti-expulsions pour obliger l’Etat à respecter la loi et les droits des sans-logis. En attendant, nous demandons l’arrêt des expulsions sans relogement préalable (les bailleurs sont alors indemnisés). Tous les présidents de la République l’ont promis, Emmanuel Macron en dernier : « Je veux que nous puissions apporter un toit à toutes celles et ceux qui sont sans abri. » Alors agissons tout de suite, ensemble, pour que cesse l’intolérable, c’est possible, très vite !Lundi 29 avril, nous lancerons des assises « Zéro SDF, un logement pour toutes et tous ! »
Pour signer avec nous cet appel, cliquer sur : http://chng.it/g4hjhymwPq
Signataires : Gérard Aschieri, syndicaliste ; Josiane Balasko, actrice ; Guy Bedos, acteur ; Eric Beynel, syndicaliste (Solidaires) ; Romane Bohringer, actrice ; Carole Bouquet, actrice ; Etienne Caniard, mutualiste ; Stéphanie Chevrier, éditrice ; Pierre Corvol, biologiste ; Annie Ernaux, écrivaine ; Jean-Baptiste Eyraud, fondateur de Droit au Logement ; Jacques Gaillot (évêque); Elisabeth et Gérard Garouste, plasticiens ; Bernadette Groison, syndicaliste (FSU) ; HK (musicien); Pierre Jouannet (biologiste); Axel Kahn, généticien ; Frédéric Lebaron, sociologue ; Philippe Martinez, syndicaliste (CGT) ; Nicolas Mathieu, écrivain ; Francois Marthouret, acteur ; Gérard Mauger, sociologue ; Dominique Méda, sociologue ; Willy Pelletier, coordinateur général de la Fondation Copernic ; Pierre Richard, acteur ; Sanseverino, musicien ; Alfred Spira, épidémiologiste ; Diane et Bernar Venet, plasticiens ; Marina Vlady, actrice ; Anita Weber, haut-fonctionnaire ; Michel Wieviorka,