Cet article commente la signification de la construction d’un syndicat (Amazon Labor Union-ALU) dans un entrepôt Amazon de New York. Il est d’abord paru dans la revue de la gauche américaine Jacobin, puis traduit dans la revue en ligne Ballast (https://www.revue-ballast.fr). Il illustre bien comment le syndicalisme étatsunien doit s’y prendre pour émerger et vaincre les obstacles à la syndicalisation (le taux global de syndicalisation est passé de plus de 23% à 10,3% en 40 ans) . Mais il témoigne aussi de l’action de forces de gauche, vues par Jacobin, face aux géants économiques capitalistes qui organisent « la chasse aux sorcières« .
Site : https://www.amazonlaborunion.org/
Un syndicat chez Amazon : comment la gauche doit s’ancrer dans le monde du travail
Fin mars dernier, les travailleurs et les travailleuses d’un entrepôt Amazon se prononçaient, à New York, pour ou contre leur rattachement à une organisation syndicale. Le verdict, favorable, a été rendu public le 1er avril : une première au sein de l’entreprise de commerce en ligne, qui n’a pas manqué de faire part de sa « déception ». Ladite organisation — l’ALU — avait vu le jour un an plus tôt, en pleine pandémie. Le succès de cette campagne syndicale montre de quelle façon la gauche anticapitaliste pourrait parvenir à construire un pouvoir populaire de masse : en s’ancrant bien davantage sur les lieux de travail. C’est ce qu’avancent les trois auteurs de cet article que nous traduisons, Costas Lapavitsas, Madhav Ramachandran et Yannis Bougiatiotis. « Le travail salarié reste le fondement de la société capitaliste. La régénération de la gauche doit être basée sur le renforcement de liens qui se sont effilochés avec la classe ouvrière. » Une réflexion à mener, poursuivent-ils, aux États-Unis comme ailleurs.
Devant les bureaux du National Labor Relations Board, à Brooklyn, les poings des dirigeants de l’Amazon Labor Union (ALU) se sont levés pour célébrer la victoire : Amazon, deuxième plus grand employeur privé des États-Unis, a enfin vu la création de son tout premier syndicat américain en vingt-sept ans d’activité. Cet événement capital oblige à porter un nouveau regard sur le mouvement ouvrier et sur ses relations avec la gauche, aux États-Unis comme ailleurs. Les obstacles entravant ces relations ne sont pas nouveaux, il est vrai. L’essor rapide du mouvement syndical après-guerre a été violemment combattu par l’État et la classe capitaliste. La loi Taft-Hartley1 de 1947 et la Peur rouge ont déclenché une féroce chasse aux sorcières contre la gauche, en particulier les communistes, qui ont ensuite été évincés des syndicats.
« Cet événement capital oblige à porter un nouveau regard sur le mouvement ouvrier et sur ses relations avec la gauche, aux États-Unis comme ailleurs. »
Le capitalisme néolibéral a également modifié les contours du mouvement ouvrier. Les industries traditionnelles ont décliné, le secteur des services s’est développé et l’emploi est devenu particulièrement précaire. La syndicalisation a reçu un coup dur. En 1980, l’affiliation syndicale totale représentait environ 23 % de la main-d’œuvre, avec plus de 20 millions de travailleurs syndiqués. En 2021, le taux de syndicalisation a atteint le niveau historiquement bas de 10,3 % de la population active. Les chiffres sont encore pires chez les jeunes travailleurs âgés de 16 à 24 ans, où le taux de syndicalisation dépasse à peine 4 %. La pandémie a exacerbé ces tendances : le nombre de travailleurs syndiqués a diminué de 240 000 entre 2020 et 2021. Cependant, même si le néolibéralisme a affaibli l’organisation des travailleurs, ni le mouvement syndical ni la gauche ne sont prêts à laisser la classe capitaliste avoir le dernier mot. La victoire des travailleurs d’Amazon s’est appuyée sur la présence active de militants de gauche tout au long de la lutte. Ces militants, héritiers de la longue expérience historique du syndicalisme indépendant, ont contribué de manière décisive à l’organisation efficace des travailleurs novices dans les luttes syndicales. Au fur et à mesure et tout au long de la lutte jusqu’à la création du syndicat, les travailleurs d’Amazon n’ont cessé de se radicaliser.
Aujourd’hui, de nouvelles voies s’offrent au mouvement syndical et à la gauche étasuniens. Le faible taux de chômage et la forte insatisfaction des travailleurs vis-à-vis de leur emploi incitent davantage encore à l’optimisme. L’opinion publique est de plus en plus favorable aux syndicats, et de nombreux efforts pour créer une organisation syndicale ont été couronnés de succès, notamment chez Starbucks. Brett, l’un des dirigeants de l’ALU, affirme : « Si vous pouvez syndiquer Amazon, alors vous pouvez le faire partout. Tout le pouvoir revient donc à la classe ouvrière. C’est une énorme victoire pour le mouvement ouvrier, pour les travailleurs qui se syndiquent sur leur propre lieu de travail, qui s’organisent et qui rendent le pouvoir aux mains des travailleurs. » La création de l’ALU représente une chance historique pour les travailleurs de s’organiser et de tenter de rétablir l’équilibre avec le capital. C’est aussi une opportunité pour la gauche de se connecter avec la nouvelle classe ouvrière qui émerge après des décennies de néolibéralisme, d’individualisme rampant et de l’implacable évolution technologique causée par le capitalisme.
Amazon et la pandémie
La crise économique engendrée par la pandémie a été lucrative pour les entreprises technologiques, notamment les « Big Five » — Apple, Microsoft, Alphabet (Google), Amazon et Meta (Facebook). La principale raison est évidente : les services de livraison et ceux qui facilitent le travail à distance ont connu un véritable boom. Aucune n’en a profité davantage qu’Amazon, étroitement liée à l’accumulation productive en raison de son rôle crucial dans le secteur de la distribution. Les autres grandes entreprises technologiques fonctionnent un peu à l’écart du reste de la production, dans une sphère à part qui n’est pas encore aussi cruciale pour l’économie globale qu’on l’imagine souvent. Selon son rapport de résultats pour 2021, Amazon a réalisé 33,4 milliards de dollars de bénéfices l’année dernière, contre 11,6 milliards en 2019. Son président exécutif, Jeff Bezos, a augmenté sa valeur financière nette pendant la pandémie d’environ 80 milliards de dollars — pour atteindre 193 milliards de dollars en 2022.
« Amazon est en passe de devenir une puissance dictant non seulement les conditions mondiales de la distribution, mais aussi le développement des services numériques. »
La Big Tech a également énormément profité de la poursuite de l’assouplissement quantitatif pratiqué par les banques centrales, qui a conduit les taux d’intérêt à un niveau proche de zéro et a par conséquent créé une bulle boursière. L’augmentation de la capitalisation boursière des entreprises (tableau 1) est révélatrice, même si une grande partie de cette valeur est évidemment du capital fictif qui n’existe que sous forme de plus-values latentes. Même si une partie de cette croissance disparaît au fur et à mesure de l’ajustement des marchés boursiers, il ne fait aucun doute que les Big Five ont été les gagnants incontestés de l’assouplissement.
COMPAGNIE | 2019 | 2022 |
APPLE | 1.287 | 2.844 |
MICROSOFT | 1.200 | 2.319 |
ALPHABET | 0.921 | 1.856 |
AMAZON | 0.920 | 1.664 |
META | 0.585 | 0.643 |
[Évolution de la capitalisation boursière des Big Five ($Tr), avril 2019–2022]
La croissance de la capitalisation, en outre, reflète l’effort soutenu des entreprises de Big Tech pour se développer sur les marchés du cloud computing [accès à des services informatiques via Internet à partir d’un fournisseur, ndlr] et de l’intelligence artificielle qui sous-tendent l’évolution technologique aujourd’hui, après avoir prospéré durant la pandémie. En 2020–2021, les Big Tech ont cherché à acquérir de plus en plus de start-ups d’intelligence artificielle. Leur démarche agressive a remodelé la gig economy [économie du micro-entrepreunariat sur le modèle d’Uber, Deliveroo, etc., ndlr] et les contours de l’accumulation dans l’ensemble de l’économie. Amazon Web Services (AWS), la branche de services web d’Amazon, est en tête du marché des investissements et de prestations de services. AWS a rapidement élargi sa clientèle et s’est développée tant sur le plan géographique que sectoriel. Malgré la concurrence des géants chinois — surtout Alibaba —, AWS domine même la région Asie-Pacifique. Ces technologies nécessitent d’énormes investissements. On estime que les dépenses en services de cloud public sont passées de 313 milliards de dollars en 2020 à 396 milliards de dollars en 2021, et qu’elles atteindront 482 milliards de dollars en 2022. D’ici 2026, les dépenses en services de cloud devraient représenter environ la moitié des dépenses informatiques des entreprises de technologie de l’information. En bref, Amazon, une entreprise géante initialement axée sur le commerce numérique, est en passe de devenir une puissance dictant non seulement les conditions mondiales de la distribution, mais aussi le développement des services numériques et plus largement les investissements dans les technologies de pointe.
Le modèle de travail d’Amazon
Pour les travailleurs, l’essor du numérique équivaut à intensification du travail et allongement de la journée ouvrée. Les nouvelles technologies augmentent également l’insécurité de l’emploi, rendant ce dernier encore plus précaire. Surtout, les nouvelles technologies pourraient intensifier la concurrence dans l’économie mondiale, ce qui aggraverait encore les conditions de travail. Les conditions de travail chez Amazon illustrent parfaitement ces tendances. L’ascension vertigineuse de l’entreprise lui a permis d’étendre sa main-d’œuvre à plus de 1,6 million de personnes dans le monde. Pour les gérer, Amazon met en œuvre de manière agressive les nouvelles technologies qu’elle développe simultanément, dictant les conditions de travail des principales industries pour les années à venir. Une grande partie de l’augmentation de la main-d’œuvre d’Amazon correspond à des travailleurs saisonniers, employés pour répondre aux pressions croissantes de la demande. Ils sont confrontés à une précarité d’emploi aiguë car ils sont facilement remplaçables lorsque la demande de services d’Amazon fluctue à la baisse. Les entrepôts d’Amazon ont récemment connu un taux de rotation incroyable, avec plus de 100 % de leur personnel par an.
« Des documents rendus publics attestent qu’Amazon sait pertinemment que ses travailleurs doivent uriner dans des bouteilles pour éviter d’être licenciés pour avoir pris une pause. »
Les conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon sont dégradantes, quasi inhumaines. Amazon déploie un système d’alarme de surveillance de ses entrepôts et de ses services de livraison basé sur l’intelligence artificielle. Dans les entrepôts, tout manquement au rythme de travail et à la réalisation des objectifs quotidiens entraîne des mesures disciplinaires pour « improductivité ». Des documents rendus publics attestent qu’Amazon sait pertinemment que ses travailleurs doivent uriner dans des bouteilles pour éviter d’être licenciés pour avoir pris une pause. Autres exemples : le vol des pourboires reçus par ses livreurs, ainsi que la dissimulation du fait que ses usines « automatisées » peuvent s’avérer des pièges mortels pour les employés. La situation s’est considérablement aggravée pendant la pandémie, les travailleurs étant systématiquement exposés au virus tandis que les ventes d’Amazon explosaient. Il est important de se rappeler que la lutte à Staten Island a commencé lorsque Chris Smalls, le leader de l’ALU, a initialement débrayé pour protester contre l’opacité des mesures de santé et de sécurité d’Amazon. Malgré tous les efforts des grandes entreprises, la capacité de résistance des salariés est inépuisable. L’opposition fondamentale entre le capital et le travail, qui est à la base de la société moderne, ne peut être abolie. Le harcèlement impitoyable de la main-d’œuvre d’Amazon par la direction s’est soldé par une victoire de la syndicalisation dont le mouvement ouvrier et la gauche peuvent tirer des enseignements opportuns.
La victoire de l’ALU
Le site JFK8 d’Amazon est situé au nord-ouest de l’arrondissement de Staten Island à New York. C’était autrefois une énorme zone de stockage de pétrole et de gaz. La zone industrielle se trouve non loin des gratte-ciel étincelants du quartier financier de Manhattan, des quartiers en voie d’embourgeoisement de Brooklyn et de la riche enclave de Todt Hill. Les travailleurs de l’usine vivent dans l’une des villes les plus chères du monde, une dure réalité pour la grande majorité d’entre eux. La campagne de syndicalisation a été menée par l’ALU, qui est organisée comme un syndicat indépendant, distinct des grandes fédérations syndicales qui dominent ce qui reste du travail organisé américain. Les principes de l’ALU incluent un antiracisme engagé, et sa direction reflète la diversité qu’on trouve à l’entrepôt.
Ces principes incluent également un large engagement à gauche. Comme l’a dit Justine de l’ALU, le syndicat « s’est mobilisé avec ardeur contre la classe des milliardaires ». L’implication des militants de gauche a été forte, le syndicat s’inspirant délibérément des traditions de l’International Workers of the World2 et du Congress of Industrial Organizations. Ils se revendiquent de l’ouvrage de référence Organizing Methods in the Steel Industry de William Z. Foster, le célèbre dirigeant syndical et communiste. Grâce à l’expérience et la participation de la gauche, des stratégies variées ont été mises en œuvre, allant de l’action collective aux recours juridiques contre la direction. Et, ce qui n’est pas peu, il y a eu la volonté d’accepter l’aide d’autres syndicats et organisations politiques de gauche.
« L’enthousiasme pour la création de l’ALU a été favorisé par sa position ferme contre le harcèlement sexuel et le racisme, et pour la dignité sur le lieu de travail. »
Une raison essentielle du succès de la lutte à Staten Island est que tous les membres de la direction du syndicat sont aujourd’hui, ou ont été, des travailleurs d’Amazon, et qu’ils ont donc une connaissance de première main de la réalité de ses installations. Une autre raison est que l’ALU est indépendante, contrairement au Retail, Wholesale and Department Store Union (RWDSU) qui a mené sans succès des campagnes de syndicalisation à Bessemer, en Alabama. Le RWDSU a été largement contrecarré par la campagne antisyndicale d’Amazon selon laquelle le syndicat était composé d’« agitateurs extérieurs », une stratégie qu’il n’a pas pu reproduire efficacement à Staten Island. Cela ne veut pas dire que la lutte ait manqué de soutien de la part de syndicats plus établis, notamment le syndicat United Food and Commercial Workers et UNITE HERE. L’effort de syndicalisation a également reçu un certain soutien de la part des politiciens démocrates de New York, comme en témoigne par exemple la campagne de la procureure générale de l’État, Letitia James, contre les pratiques de travail dangereuses d’Amazon pendant la pandémie.
Toutefois, il est crucial que l’ALU soit dirigée par les travailleurs et organisée de manière indépendante. Pour Pat, un organisateur de l’ALU auparavant membre de l’Association internationale des débardeurs, « d’autres syndicats puissants ont essayé d’entrer chez Amazon, mais ils n’ont pas réussi. Eux y sont parvenus grâce à l’indépendance des travailleurs, et je pense qu’ils doivent la conserver ». Autre aspect essentiel de l’effort d’organisation : s’être attaqué à des problèmes autres que la rémunération sur le lieu de travail. Les salaires d’Amazon sont peut-être plus élevés (bien qu’ils atteignent à peine ce qui est nécessaire pour survivre) que ceux de concurrents comme Walmart ou Target, mais les conditions de travail y sont pires. L’enthousiasme pour la création de l’ALU a été favorisé par sa position ferme contre le harcèlement sexuel et le racisme, et pour la dignité sur le lieu de travail.
Enfin, dans le contexte tendu de la pandémie, même des événements mineurs se sont avérés cruciaux pour la syndicalisation des travailleurs. Avant la pandémie, les travailleurs de l’entrepôt de Staten Island étaient obligés de laisser leurs téléphones portables dans des casiers, ce qui les privait de la possibilité d’écouter de la musique ou d’entrer en contact avec d’autres personnes pendant les heures de travail. Les casiers étaient en grande partie partagés, favorisant le vol et les pertes. Leur éloignement de l’espace de travail signifiait également que l’utilisation du téléphone pendant la pause prenait toute la durée de celle-ci, empêchant même les travailleurs d’aller aux toilettes. Bien qu’Amazon ait été contraint de revenir sur cette mesure au plus fort de la pandémie, elle a été réintroduite par la suite. Étant donné le taux de rotation extrêmement élevé des travailleurs à Staten Island, les nouveaux employés ne pouvaient se souvenir de la pratique précédente. Ils se sont montrés pour le moins peu disposés à accepter cette intervention répressive apparemment nouvelle, ce qui a renforcé le soutien au syndicat.
Et après ?
« Le véritable problème tenait à ce que la gauche radicale s’est montrée incapable de reconstruire ses liens syndicaux et politiques historiques avec la classe ouvrière. »
Au cours des décennies de néolibéralisme, la force politique de la gauche a décliné dans de nombreux grands pays capitalistes. En même temps, la gauche a été capable de mettre en œuvre des projets politiques efficaces et même de réussir à gagner le pouvoir politique. Syriza a gouverné la Grèce de 2015 à 2019, Podemos a connu une période de croissance et d’influence extraordinaire en Espagne, et le parti travailliste de Jeremy Corbyn a failli remporter les élections au Royaume-Uni. Les campagnes de Bernie Sanders en 2016 et 2020 ont également défié l’establishment politique américain. Pourtant, malgré toutes ces occasions, la gauche n’a pas réussi à instaurer de véritables changements ni réaliser des gains à long terme. Il est vrai que le centre gauche a accepté et même mis en œuvre la politique néolibérale. L’échec de la gauche radicale, au contraire, n’a pas nécessairement été dû à une quelconque réticence programmatique à défier le capitalisme. Le véritable problème tenait à ce qu’elle s’est montrée incapable de reconstruire ses liens syndicaux et politiques historiques avec la classe ouvrière. Malgré des poussées électorales occasionnelles, sa disparition politique reflète en fin de compte l’absence de bases solides dans le mouvement syndical. Que nous apprend la réussite de l’effort de syndicalisation chez Amazon à un moment aussi critique ?
Leçon clé évidente pour l’organisation de la nouvelle classe ouvrière : ce ne sera pas un processus facile. La surveillance technologique, l’hostilité et la propagande des entreprises, et l’automatisation de la production créent des difficultés majeures pour la syndicalisation. Amazon a récemment interdit l’utilisation des mots « syndicat » ou « augmentation de salaire » dans les discussions internes de l’entreprise. Amazon est même allé jusqu’à modifier les feux de circulation à proximité de ses entrepôts pour empêcher les syndicalistes de profiter des feux qui passent au rouge pour parler aux livreurs. Le géant de la technologie, et d’autres comme lui, sera implacable dans son opposition à l’union des travailleurs. Les véritables difficultés pour l’ALU sont à venir. Elle doit d’abord être reconnue par Amazon, puis s’engager dans la négociation d’un contrat. Pour réussir, elle devra comprendre les rouages profonds du capitalisme.
Mais il y a des raisons d’être optimiste. Le succès de l’ALU montre que les campagnes menées avec un fort engagement de gauche par des syndicats indépendants, dirigés par des travailleurs et reflétant le visage changeant de la nouvelle classe ouvrière, peuvent effectivement être couronnées de succès. Les progrès de la technologie et les vicissitudes de la pandémie ont sans aucun doute nui à la cause du travail, mais ils ont également fourni de nouvelles ouvertures pour l’organisation. La surveillance technologique a rendu l’organisation clandestine plus difficile, mais cette technologie a également assuré une large publicité aux succès des travailleurs tout en révélant l’insensibilité des grandes entreprises. Chris Smalls, le leader de l’ALU, nous a déclaré : « Nous n’en sommes qu’au début, j’ai donc beaucoup à apprendre. Ce que nous avons appris jusqu’à présent, c’est qu’il n’y a rien que nous ne puissions faire et surmonter. Ce que nous voulons que les syndicats apprennent, c’est qu’il y a une nouvelle génération… et un nouveau style sur la façon dont nous voulons faire les choses, par rapport à comment cela a été fait dans le passé. Nous allons faire les choses à notre façon, elle n’est peut-être pas toujours jolie, mais elle fonctionne. »
Le travail salarié reste le fondement de la société capitaliste. La régénération de la gauche doit être basée sur le renforcement de liens qui se sont effilochés avec la classe ouvrière. La victoire de l’ALU est une leçon sur la manière de s’engager avec les travailleurs dans de nouveaux termes. La gauche peut mobiliser sa riche expérience historique pour soutenir les travailleurs et, plus important encore, apprendre d’eux comment mener à nouveau le combat contre le capital.
Traduit de l’anglais par Loez et Anne Feffer, pour le site de Ballast | Costas Lapavitsas, Madhav Ramachandran et Yannis Bougiatiotis, « The Amazon Union Success Shows Why the Left Needs to Focus on Labor », Jacobin, 15 avril 2022
Photographie de bannière : entrepôt Amazon JF8, New York | The New York Times
- Loi régissant les relations entre les syndicats de travailleurs et le patronat aux États-Unis.↑
- L’IWW est un syndicat international fondé aux États-Unis en 1905. Aujourd’hui, l’organisation compte environ 9 300 membres à travers le monde. L’adhésion ne requiert pas de travailler dans une entreprise où existe une représentation syndicale et n’exclut pas l’adhésion à une autre organisation syndicale. Les IWW ont comme principe fondamental l’unité des travailleurs au sein d’un seul grand syndicat (« One Big Union ») en tant que classe sociale partageant les mêmes intérêts. Elle vise à l’abolition du salariat.↑