La Tribune unitaire ci-dessous est parue dans Libération le 1er juin 2023 et nous est adressée par le Collectif national pour les droits des femmes. Elle attire l’attention sur la navette parlementaire pour inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution : les rédactions de l’Assemblée nationale et du Sénat ne sont pas pour le moment identique. Ce qui menace l’aboutissement.
« Ceux qui pensent que l’avortement n’est pas menacé en France doivent ouvrir les yeux »
Face à la virulence de ses opposants et à une constitutionnalisation qui s’enlise, seul un projet de loi sécuriserait, dans les textes et sur le terrain, le droit à l’IVG, alerte un collectif de militantes associatives et syndicales, dont Sophie Binet (CGT) et Suzy Rojtman (Collectif national pour les Droits des femmes).
Lors de la Journée internationale des droits des femmes, à Paris, le 8 mars 2023. (Flore Gastal/Hans Lucas.AFP) par Un collectif de militantes associatives et syndicales
L’action massive et coordonnée menée à Paris par des opposant·e·s au droit à l’avortement le 25 mai dernier vient nous rappeler l’urgence de l’inscription de ce droit dans la Constitution française. En effet, le droit à l’avortement serait ainsi érigé en droit fondamental, essentiel pour l’individu, concrétisation de l’égalité entre les sexes, ce qui constituerait une protection supplémentaire face aux remises en cause toujours possibles.
Le processus est engagé au Parlement. Le 24 novembre 2022, l’Assemblée nationale votait la proposition de loi portée par Mathilde Panot (LFI) qui stipule que «la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse». Le Sénat, lors de la navette parlementaire, votait le 1er février dernier, le texte de Philippe Bas (Les Républicains), ainsi rédigé : «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse.»
Les deux rédactions ne sont pas équivalentes : l’une garantit un droit, son effectivité, c’est-à-dire sa mise en pratique, et l’égalité devant ce droit. L’autre rappelle ce que fait toujours la loi – les conditions de son exercice – et reprend le terme de liberté, beaucoup plus subjectif en l’occurrence que celui de droit. La rédaction du Sénat autorisera les régressions puisque n’importe quel recul de la loi lui garantirait toutefois sa constitutionnalité : réduction des délais, remise en cause du remboursement, multiplication des entretiens préalables, etc.
Notons que les deux Chambres doivent adopter le même texte à la virgule près. Et que fait le gouvernement ?
Il s’est prononcé pour l’introduction du droit à l’avortement dans la Constitution, comme l’a encore affirmé Eric Dupond-Moretti lors de la discussion au Sénat le 1er février. Mais Emmanuel Macron a déclaré qu’il voulait «laisser la place à l’initiative parlementaire», une façon de ne pas s’engager personnellement. Il a agi de même avec la loi Gaillot de février 2022 (qui a notamment prolongé les délais pour avorter), et qui a, de ce fait, plusieurs fois failli s’enliser.
Effets d’annonce
Mais le 8 mars dernier, lors de l’hommage à Gisèle Halimi, le président de la République a déclaré enfin vouloir «inscrire dans notre texte fondamental cette liberté». Il a précisé que cela serait fait dans le cadre d’une réforme constitutionnelle plus large et non par un projet de loi spécifique. Il reprend donc le terme de Philippe Bas («liberté») et risque de noyer le droit à l’avortement parmi des mesures qui ne font pas consensus et qui empêcheraient tout vote positif.
Il avait déjà promis d’inscrire le droit à l’avortement dans la charte européenne des droits fondamentaux en début de la présidence française de l’Union européenne en janvier 2022, sachant très bien cela impossible puisqu’il faut l’unanimité des Etats membres. Effet d’annonce et instrumentalisation, après l’élection de l’eurodéputée maltaise anti-avortement Roberta Metsola comme présidente du Parlement européen – avec les voix des eurodéputé·e·s macronistes ?
Celles et ceux qui disent que l’avortement n’est pas menacé en France doivent ouvrir les yeux : les opposant·e·s de toujours se sont rappelé·e·s à leur bon souvenir. Comme en Pologne, en Hongrie ou aux Etats-Unis, l’avortement est un combat politique pour les droits des femmes. Le droit à l’avortement doit être introduit dans la Constitution française dans des termes qui permettent une réelle protection ; et par un projet de loi, engagement du gouvernement, qui nous éviterait un référendum (obligatoire si l’initiative est parlementaire) qui autoriserait encore une fois l’expression par l’extrême droite de termes nauséabonds.
Trop d’obstacles
Mais il y a d’autres façons insidieuses de s’attaquer au droit à l’avortement, si la politique de santé restreint les moyens matériels et humains pour appliquer la loi. Moins de centres pratiquant les IVG, moins de proximité pour les femmes demandant une IVG, allouer moins de personnels soignants, moins de choix de la méthode, ne pas combattre les ruptures d’approvisionnement des produits nécessaires aux IVG médicamenteuses : autant de modalités qui restreignent l’accès au droit à l’avortement.
Alors que voulons-nous ? Nous voulons que les besoins de toutes les femmes soient pris en compte, qu’elles trouvent des solutions simples, de proximité, en ayant le choix de la méthode de l’IVG – ce qui implique notamment la réouverture des hôpitaux et des maternités de proximité actuellement fermés. Nous voulons que l’aide médicale d’Etat (AME) ne soit pas supprimée ; que l’ensemble des actes nécessaires à l’IVG soient pris en charge à 100 % pour éviter toute inégalité sociale ou de territoire ; que l’avortement ne soit plus un soin spécifique pour lequel le ou la soignant·e puisse s’abriter derrière une clause de conscience spécifique, et donc que le choix de vie des femmes qui demandent une IVG soit respecté.
Nous voulons que le décret d’application de la loi Gaillot de février 2022 permettant aux sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales soit enfin publié ; qu’une information accessible au grand public soit développée régulièrement, aussi bien en milieu scolaire que dans le monde du travail. Et enfin, nous voulons que les soignant·e·s, médecins et sages-femmes soient formé·e·s non seulement aux techniques médicamenteuses ou instrumentales, selon le terme de la grossesse mais aussi à l’écoute, à l’empathie. Qu’ils et elles soient capables de conseiller, et pas seulement de prescrire.
Tribune rédigée à l’initiative du collectif «Avortement en Europe – les femmes décident».
Premiers signataires
Association nationale des CIVG Laurence Danjou et Nathalie Trignol-Viguier, coprésidentes Association nationale des sages-femmes orthogénistes Claire Wolker, Delphine Giraud, coprésidentes Collectif CIVG Tenon Isabelle Fride, Josée Pépin Collectif féministe les Dionysiennes Sonia Casagrande, Adjera Lakehal Collectif national pour les Droits des femmes Suzy Rojtman, porte-parole, Ingrid Darroman Confédération française démocratique du travail CFDT, Béatrice Lestic, secrétaire nationale en charge de la politique d’égalité entre les femmes et les hommes ; Dominique Marchal, secrétaire confédérale et déléguée femmes Confédération générale du travail CGT, Sophie Binet, secrétaire générale Coordination des associations pour le droit à l’avortement et la contraception Nora Tenenbaum Fédération syndicale unitaire FSU, Amandine Cormier, secteur femmes, et Benoît Teste, secrétaire général Femmes solidaires Sabine Salmon, présidente et Carine Delahaie, rédactrice en cheffe de Clara Magazine Marche mondiale des femmes Nelly Martin Notre santé en danger Françoise Nay, cocoordinatrice Nouveau parti anticapitaliste NPA, Penelope Duggan et Aurélie-Anne Thos, commission nationale d’intervention féministe Osez le féminisme ! OLF, Violaine De Filippis-Abate et Elsa Labouret, porte-parole Planning familial Sarah Durocher, présidente et Danielle Gaudry (Val-de-Marne) et Union syndicale solidaires Muriel Guilbert, codéléguée générale et Violette Mussat, Paris.