Regards sur le congrès de l’Union syndicale Solidaires

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Le 7ème congrès de l’Union syndicale Solidaires s’est tenu à Saint-Brieuc du 12 au 16 juin 2017. J’ai assisté (pour syndicollectif.fr) à quelques débats pendant un jour et demi, ce qui est très insuffisant pour une vue d’ensemble. Ce ne sont donc ici que des fragments ou des réflexions très partielles. Tant mieux si elles pouvaient susciter des réponses critiques ou des débats !

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Par Jean-Claude Mamet

L’ordre du jour comprenait le bilan d’activité, la trésorerie, des débats de fonds sur trois résolutions d’orientations (les questions internationales, le défi du travail et du numérique, et les problèmes de construction de l’union), une motion d’activité (déjà publiée sur syndicollectif.fr) et les problèmes directionnels.

La culture du débat

Je voudrais cependant commencer ce compte rendu d’observations par insister sur la manière de débattre dans l’Union syndicale Solidaires.  Il faut en effet noter la très grande place laissée au travail en commissions, sur chaque grand thème de débats. C’est en réalité la plus grande part du temps qui se déroule en commissions. Bien entendu, les congressistes ne découvrent pas en arrivant au congrès les questions en débat. Chacune des structures de Solidaires (syndicats ou fédérations professionnelles, « solidaires locaux », c’est-à-dire unions interprofessionnelles locales ou départementales) a eu depuis plusieurs mois le temps de discuter, de proposer des amendements, de s’opposer à telle ou telle partie des documents, et de le faire savoir. Certains documents n’ont pas été approuvés d’emblée par le Conseil national de l’Union, avant d’être mis dans la discussion. La règle est en effet celle de la recherche du consensus, ce qui peut prendre du temps. Lorsque le consensus n’est pas atteint, il faut les 2/3 des voix pour qu’une décision soit prise. Chaque structure, grande ou petite, compte pour une voix. Et il existe toujours la possibilité pour qu’une structure exerce un « droit de veto », lorsqu’une décision lui parait très antagonique à ces valeurs ou ces orientations. Mais ce veto n’est en réalité presque jamais utilisé.

Il faut aussi insister sur un point : le très grand travail d’écoute, de respect des structures et des personnes, du débat collectif, la très grande patience des délégué-es à vouloir parvenir, sinon à des consensus systématiques, du moins à des regroupements de positions voisines, pour avancer et ne pas bloquer. Mais cela implique que les délégués-es soient en possession de toutes les propositions d’amendements, de leur justification, etc. Très souvent, plusieurs structures ont pris le temps de se concerter avant le congrès ou le font pendant le congrès, afin d’aplanir des faux débats, de bien comprendre ce dont il est question, etc. Il faut insister sur cet aspect du débat démocratique, car ce n’est pas courant dans le syndicalisme à une telle échelle.

Bien entendu, ce fonctionnement rigoureux et un peu chronophage n’est rendu possible que parce qu’il existe une culture commune du débat, et le sentiment d’une cohésion de l’organisation sur des repères communs (mais peut-être fragilisés en partie dans ce congrès justement, sur certains points). Ce fonctionnement n’évite pas non plus les caricatures : passer du temps parfois sur des virgules (dans d’autres organisations, on verrait les délégué-es monter sur les tables d’indignation ou boycotter l’assemblée plénière !). La culture du débat n’est jamais spontanée : autant les salarié-es ou les syndiqué-es sont très prompts à remarquer les entorses à la démocratie, autant ils (ou elles) ne sont pas toujours disposé-es à prendre le temps d’aller au bout des échanges. Tout débat clivé laisse des traces. Il ne fait pas de doute aussi que dans Solidaires, il y a un niveau homogène de culture générale qui permet une tel échange collectif. Mais qu’à cela ne tienne : le débat démocratique nécessite un apprentissage volontariste, et il faut saluer cela dans Solidaires.

Bilan d’activité

Le texte de bilan d’activité est très dense (55 pages).  N’est traité ici que le débat sur le mouvement contre la loi travail de 2016. Le document insiste sur le début « syndical » du mouvement, lors des intersyndicales parfois conflictuelles (avec la CFDT) avant même la journée initiatrice du 9 mars (pétition loi travail et appels de la jeunesse). Il met en évidence les limites de l’intersyndicale qui s’est stabilisée ensuite (sans la CFDT), avec notamment les freins mis par FO sur certaines dates d’actions ou des ambiguïtés dans les rapports au gouvernement aux moments les plus décisifs du mouvement.  Il déplore qu’après le 15 septembre « aucune nouvelle date n’est proposée ». Tout le monde sait que FO ne le voulait pas. Le texte semble déplorer que la CGT ait trop voulu maintenir l’unité avec tout le monde et a laissé ainsi une trop grande place à FO.  Il n’explique cependant pas ce qui se serait passé si FO s’était retirée bien plus vite du mouvement, suite à une intransigeance CGT ou autre…

Le débat du congrès sur cette partie du bilan a fait apparaitre une polarisation entre deux positionnements : l’un expliquant que la mobilisation permettait d’aller bien plus loin, et l’autre plus mesuré. Un délégué de Sud Rail par exemple, critique « l’absence de lisibilité de notre union », et déplore l’absence « d’un appel fort de Solidaire à la grève générale, qui était possible ». Un délégué de Solidaires Loiret tente de tirer un bilan lucide, tout en ayant participé au réseau « On bloque tout ». Les blocages, dit-il, ont pu parfois apparaitre comme « substitutistes » à la grève, « l’auto-organisation » a été faible, et il faut faire attention lorsqu’on critique les autres organisations syndicales de ne pas verser dans le sectarisme. Car la CGT réplique parfois : « et vous, qu’avez-vous fait ?». Le texte de bilan du secrétariat national souligne aussi les « disparités » de la mobilisation, y compris là où Solidaires est implanté.

A souligner quand même un aspect du bilan d’activité que peu d’organisations syndicales peuvent aujourd’hui mettre en avant : une progression de la syndicalisation à Solidaires, assez régulière depuis plusieurs années, atteignant aujourd’hui un total de 102 000 syndiqués (plus 4000 sur le congrès de 2013). Néanmoins ces progrès ne se retrouvent peut-être pas au même rythme dans les résultats électoraux (exemple les résultats décevants des élections TPE) avec un progrès de 5500 voix (3, 46%) dans la comptabilisation nationale rendue publique le 31 mars dernier par le Ministère du travail. Solidaires franchit cependant la barre de la représentativité dans 35 branches et conventions collectives sur 458.

L’action internationale

Le document N° 1 sur les luttes internationales, et sur l’outil syndical international de Solidaires a fait l’objet de débat nourris, mais bizarrement pas sur cet outil lui-même. Pourtant, beaucoup de structures professionnelles de Solidaires ont une action internationale avec des réseaux de luttes (par exemple Rail sans frontière, ou encore l’activité de SUD PTT dans les centres d’appel, ou de SUD Commerce dans Amazon, etc.). Le document affirme, pour l’Europe, « que la Confédération européenne des syndicats ne correspond pas à notre syndicalisme », et décrit ensuite le « Réseau syndical international de solidarité et de luttes », constitué en mars 2013, implanté en Amérique, Afrique, Asie, Europe. Une troisième réunion internationale est prévue à Madrid en 2018. Une brochure traduite en six langues expose la déclaration commune et fait la liste des 75 organisations, syndicats, mouvements très divers, qui constitué le Réseau. Je peux témoigner aussi du travail très poussé effectué en Tunisie (la confédération tunisienne UGTT était présente au congrès), lors d’un court voyage effectué en 2011, mais aussi en Egypte.

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Mais paradoxalement, les débats de la commission du congrès sur cette résolution (et ensuite en plénier pour les votes) ont assez peu porté sur la dimension proprement internationale ou sur ce Réseau. Ils ont porté sur des parties du document décrivant la crise du capitalisme, sur l’austérité, la montée des extrêmes-droites, etc. et sur des thèmes très peu en rapport avec les questions internationales. Exemple : la portée de la laïcité, la loi de 1905, et aussi sur l’autogestion, l’appropriation des richesses, questions abordées aussi dans la résolution N° 2 (réponse au défi du travail aujourd’hui). Certains délégué-es ou syndicats pensaient que certains passages, renvoyant à l’histoire française, n’avaient pas leur place dans une résolution internationale. Dans un registre totalement différent, le syndicat national autonome de la Banque de France (SNABF) a demandé une fois de plus le retrait (sans l’obtenir) de certaines questions comme relevant du champ « politique » et non syndical (par exemple : la bataille internationale sur le droit à l’avortement…).

 

La réponse syndicale aux « évolutions du travail »

Certain-es délégué-es pensaient que c’était le thème principal d’orientation pour ce congrès. Il s’agit en effet du débat lié aux « mutations du travail », aux effets du numérique, à l’ubérisation, au télétravail, à l’individualisation forcenée, la précarité, le report du travail sur les usagers (notamment dans les services publics), etc. Le document est très détaillé, riche sur le plan analytique. Il prend de front les questions et les défis posés. Il tente même de repartir de la Charte d’Amiens, de la notion « d’émancipation intégrale » qu’elle portait. Il distingue emploi et travail. Il aborde la critique du revenu universel.

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Les débats contradictoires ont beaucoup porté sur la notion d’appropriation collective et d’autogestion, portées par plusieurs syndicats professionnels (PTT) ou Solidaires locaux (Loiret), et plutôt refusées par Solidaires Finances publiques, d’abord avec l’argument un peu curieux que l’autogestion ne fonctionnerait pas dans la Fonction publique d’Etat. Solidaires Finances publiques a fini par proposer la notion de « socialisation », qui semble très proche. Ces clivages ne sont pas nouveaux dans Solidaires. D’abord en raison d’histoires très différentes : l’Union syndicales Solidaires a presque 20 ans, associant « les SUD » déjà actifs et les syndicats « autonomes » du Groupe des 10. Mais aussi pour partie du temps long nécessaire pour que certaines propositions cheminent sur les projets de société. Certains syndicats de Solidaires sont très attachés à ce que les « bonnes » idées soient enracinées sur les pratiques réelles et constatées, plutôt que rester des « idées ».

Au-delà de ces débats, il serait sans doute passionnant de croiser un jour comment la question du travail est abordée dans Solidaires et par exemple dans la CGT ou la FSU. Dans Solidaires, la stratégie décrite est avant tout revendicative. Dans la CGT, l’approche vise à reprendre toute la démarche syndicale « par la porte d’entrée du travail », selon le langage CGT. Autrement dit de fabriquer la revendication par l’écoute des salarié-es et de leur rapport parfois informulé au travail concret, en autonomie par rapport aux injonctions patronales. Vrai ou faux débat ? La CGT, à la différence de Solidaires (où la culture de l’auto-organisation est forte), est certes marquée par une tradition où la parole « juste » vient d’en haut. Ce croisement de positions serait également très utile sur la sécurité sociale professionnelle, où les deux organisations disent quasiment la même chose depuis des années.

La troisième résolution du congrès portait sur « l’outil syndical ». Les débats parfois vifs portaient, comme dans toute organisation interprofessionnelle, sur l’aide au secteur privé, aux structures interprofessionnelles locales ou départementales, jugées parfois insuffisantes compte tenu des moyens supposés des fédérations ou des syndicats.

Motion d’actualité, unité syndicale, Front social

Je n’ai pas assisté à ce débat en séance plénière. Le sujet qui a fait « polémique » est le défi posé au syndicalisme par le réseau Front social. Front social, constitué de structures CGT, Solidaires, FSU, associatives, répond à un sentiment d’absence de réponses syndicales nationales aux menaces de Macron, surtout dans un contexte de très longue campagne électorale où la voix du syndicalisme était éteinte. Solidaires a demandé très tôt et à deux reprises à ce qu’une intersyndicale nationale se réunisse. Cette rencontre a finalement eu lieu avec la CGT, la FSU, l’UNEF, mais sans FO. Les analyses convergent, mais les décisions d’action sont suspendues aux débats internes des organisations dans le contexte « d’hypnose » produit par les 50 réunions échelonnées avec les ministères Macron sur le Code du travail.

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Plusieurs structures et fédérations de Solidaires (PTT, santé-sociaux, commerce, industrie, ainsi que le 84, le 56 et le 92), très critiques sur « l’attentisme » confédéral, avaient déposé une motion demandant que le « secrétariat national de Solidaires soit mandaté pour représenter l’Union syndicale au sein de Front social et y défendre les orientations de Solidaires », donc y adhérer. Le secrétariat national a défendu dans sa propre motion la nécessité de « cadres élargis de luttes » (comme le 8 mars 2017, la marche de la dignité le 19 mars, etc.). Il s’est prononcé aussi pour appeler au rassemblement de  Front social le 19 juin (où Éric Beynel, co-porte-parole de Solidaires était présent avec le secrétaire de l’UD CGT de Paris) ainsi qu’à la journée du 27 juin initiée par l’intersyndicale régionale Ile de France (CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF), ainsi qu’à « de nouvelles initiatives dans le cadre le plus unitaire possible », et « tout au long de l’été pour harceler le gouvernement ». C’est la position du secrétariat national qui a été adoptée.

Derrière ces débats se pose la lourde question de l’efficacité et de la plus large unité du mouvement de riposte à Macron. De ce point de vue, ce congrès n’a pas du tout réactualisé les débats antérieurs de Solidaires sur l’évolution du syndicalisme, sur la question unitaire, les initiatives à prendre sur ce plan. La revue Les Utopiques de Solidaires a amorcé cette réflexion. Un défi posé à tout le syndicalisme.

Jean-Claude Mamet

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