53ème congrès CGT (N°10) : un article dans Contretemps

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L’article ci-dessous, à propos du 53ème congrès de la CGT et des choses « qu’il peut nous apprendre » (y compris sur l’histoire CGT après le 40ème congrès de Grenoble de 1978) est paru dans la revue Contretemps N° 58 de juillet 2023, qui nous autorise à le publier. C’est donc le dixième article sur ce congrès. 

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Que nous apprend le 53ème congrès de la CGT ?

Jean-Claude Mamet (co-animateur du blog Syndicollectif.fr)

Au-delà de la CGT on imagine mal combien ce 53ème congrès a été une épreuve difficile pour les congressistes, et aussi pour les militantes et militants, qui ont anticipé ce rendez-vous (au moins depuis le printemps 2022) dans la peur d’une crise paroxystique annoncée. Bien des semaines plus tard, l’émotion persiste, les blessures probablement aussi. Il n’est pas exagéré de le dire : le congrès, à quelques heures très matinales près, a failli ne pas se terminer. Et, surtout, les raisons pour lesquelles il a failli ne pas se terminer ne sont pas totalement élucidées. C’est l’objet de cet article que d’essayer de comprendre, avec un recul encore insuffisant, ce que nous apprend ce congrès sur la centrale syndicale historique du syndicalisme français.

 

La CGT a certes connu bien des épreuves au cours de son histoire : d’énormes difficultés à faire cohabiter, de 1895 aux premières années du 20ème siècle, des types divers de syndicalisme (métiers, bourses du travail, fédérations d’industries, premières grandes usines). Des crises de croissance liées aux transformations du travail (1909), des scissions, et même une dissolution lors de secousses historiques mondiales (Révolution russe, Deuxième guerre mondiale, guerre froide), et aussi des réunifications (face à la menace fasciste en 1936). Il n’est pas douteux qu’elle traverse actuellement un moment de refondation nécessaire, mais pas véritablement pensé, dans un « entre-deux » de bouleversements mondiaux (mais sans révolution ! sauf en espoir ou en souvenir), qui font craquer sa charpente, ses organisations, ses traditions, sa culture. Un exemple parmi tant d’autres : plus de 100 000 syndiqué.es sont aujourd’hui communément appelés « isolé-es » (sur environ un total de 610 000 membres lors congrès), après avoir adhéré par internet, donc sans structure de rattachement stable.

Il y a un premier paradoxe. Ce congrès de crise se tient en plein mouvement social. Contexte enthousiasmant, et alors que tout le monde salue l’irruption peu anticipée d’une intersyndicale complète et respectée (les huit organisations, plus celles de la jeunesse), ce que le chercheur Jean-Marie Pernot appelle (lors un débat organisé le 10 mai 2023 par le site Syndicollectif) la naissance d’un nouvel acteur : « l’intersyndicale » en tant que telle. En effet celle-ci semble jusqu’ici se porter très bien et ne commet pas d’erreur collective. Elle ne gagne pas, mais elle déstabilise politiquement l’édifice macronien dont la seule base d’appui semble provenir d’institutions au service du pouvoir (Conseil constitutionnel). Or, c’est à ce moment-là, qui aurait dû la revigorer, que la CGT se déchire. Incompréhensible à une échelle large. Des querelles de sommet ? Mais quand même : la CGT était en train de promouvoir une femme à sa tête, ce qui va dans le bon sens. Et finalement, c’est ce qui s’est passé !

Mais précisément : l’intersyndicale est certes pilotée collectivement, mais le poids de la CFDT y est déterminant. Laurent Berger est apparu comme le « leader » que scruten les médias. Il y avait bien eu une intersyndicale du même type en 2010 (« réforme » Sarkozy sur les 62 ans), mais la CFDT y était plus un poids mort qu’un outil dynamique.  Cette fois, la CGT n’est plus vraiment hégémonique, même si elle le reste dans la rue. En somme, la CGT est d’abord devenue N°2 en représentativité interprofessionnelle depuis 2017 (davantage par ses pertes de voix que par les progrès de la CFDT), et à présent elle n’a plus le leadership dans la lutte. La secousse est profonde pour des secteurs éduqués au syndicalisme « de classe et de masse », porteurs d’une illustre histoire, et qui ne progressent même plus dans leurs bastions. Cette histoire est devenue en réalité une nostalgie, et petit à petit un ressentiment. Que se passe-t-il à la CGT ? A qui la faute ? A quel moment a-t-on perdu le nord ?

Seront abordés ci-après plusieurs « moments » décisifs, et parfois entrelacés :

  • Un moment dit « d’autodéfense stalinienne» après le congrès novateur de 1978 voulu par Georges Séguy.
  • Un constat d’incapacité à résoudre les problèmes de direction alors que l’ombre tutélaire du PCF s’estompe (et parfois fait retour).
  • Une résurgence de réflexes néostaliniens nuisibles qui se répètent en « farce».
  • Une volonté réelle de tourner la CGT vers les émergences novatrices des temps présents, mais sur laquelle pèse la mise à distance de procédures démocratiques.

Quelques chiffres et points-clefs :

Bilan d’activité rejeté par 50, 32% des voix.

Résolution d’orientation adoptée : 72,79% pour et 27,21 % contre.

Cette résolution ne contient plus de référence au Collectif Plus jamais ça, ni des passages proposant un rapprochement avec la FSU et Solidaires.

Amendement proposant le rattachement de la CGT à FSM : 28%. Rejeté.

 

L’usure par immobilisme

Un regard rapidement posé sur les 30 dernières années permet de formuler un diagnostic. Après la chute du mur de Berlin et de l’URSS, qui a déséquilibré toute une tradition, il est apparu au début des années 1990 que la CGT se rapetissait (nettement moins d’un million de syndiqués) : un sujet tabou. La proposition de Louis Viannet du « syndicalisme rassemblé » en 1993-1995 était conçue pour sortir de l’isolement « mortel » (le mot est employé dans ces années-là). Elle est peu à peu méditée comme à l’origine de tous les maux, car elle incluait la CFDT. D’autant que de 1995 aux années Hollande, la CFDT a chevauché et même anticipé (sous Hollande) toutes les régressions du néolibéralisme triomphant. La victoire politique partielle de 1995 ne rassemble pas tout le syndicalisme (la CFDT quitte l’intersyndicale), mais sa partie la plus combative, à laquelle finalement la CGT ne proposera rien.

Certes l’intersyndicale complète de 2006, sur fond de grève générale étudiante, a permis une victoire sur le CPE. Aucune confédération syndicale ne pouvait alors se détacher de ce mouvement. Mais le problème est qu’au congrès confédéral de Lille, qui a immédiatement suivi cette victoire, la direction Thibault a certes invité l’UNEF à se faire applaudir, mais n’a formulé aucune proposition nouvelle pour créer les conditions d’un pacte intersyndical continué.  Bernard Thibault était encore marqué par la « trahison » de Chérèque (CFDT) de 2003.

Début 2009, des premiers contacts s’établissent avec la FSU, qui ne peut plus envisager son avenir sans un projet de re-confédéralisation. Mais le débat reste confiné au sommet. Hormis quelques exceptions (Haute Garonne), personne ne cherche vraiment dans la CGT à construire du neuf. Au congrès de Nantes de la fin 2009, les rapports à la FSU sont à peine évoqués. En 2009 toujours, des mobilisations intersyndicales larges (avec la CFDT) s’organisent contre les effets de la crise financière, puis s’éteignent par manque de perspectives concrètes. En fin d’année 2009, la CGT se refuse à proposer des prolongements. Dans la lutte de 2010 contre la décision brutale de Sarkozy sur l’âge de la retraite porté à 62 ans, la CFDT ne signe rien avec Sarkozy (elle visait 2012), mais accompagne la démobilisation après le vote du Parlement.

Cette rétrospective historique montre l’épuisement d’une stratégie : le « syndicalisme rassemblé ».  Elle était devenue un hochet. La stratégie unitaire de la CGT, inscrite dans ses statuts, déposés au musée de sa mémoire, était usée par les deux bouts : aucune volonté de mettre la CFDT au défi d’un débat public sur des projets, et, à l’autre bout de l’échiquier, aucune suite aux maigres tentatives de dialogue avec le syndicalisme de lutte (FSU et Solidaires). Un syndicalisme « de lutte » pourtant fort proche, dans son action et ses positions, de celui de la CGT.  En somme, alors que la vie tourne, la CGT reste la CGT éternelle. « Lutte de classe » oui, mais finalement éloignée de « la masse » du salariat en pleine restructuration.

En réalité, l’immobilisme « lutte de classe » de ces années a des racines plus profondes. Il faut remonter au conflit Séguy-Krasucki.

L’autodéfense idéologique stalinienne

 

Si on remonte loin en arrière, l’immobilisme CGT remonte à l’après 1968. Georges Séguy avait compris que la CGT ne pouvait pas s’encroûter sur ses acquis de toujours. La secousse avait été d’une force inouïe et Séguy (audacieux mais discipliné), n’a jamais voulu revenir sur l’attitude stratégique de la CGT en 1968 (et surtout du PCF). Cependant il a compris que la coupure avec un pan du salariat et de la jeunesse était flagrante. L’unité d’action CGT-CFDT (accord de 1966) avait joué un rôle d’impulsion. C’est pourquoi il décide d’innover radicalement en préparant le 40ème congrès CGT de Grenoble de 1978. Il y propose un « comité national d’unité d’action » avec la CFDT, des campagnes communes de syndicalisation. Il se permet même d’attirer l’attention (en interne) sur une CGT qui ne doit pas se réduire à son « squelette communiste ».  Mais on le sait : Séguy s’est heurté à un mur après le congrès, dont peut-être il n’avait pas soupçonné la force à ce point.

Un livre récent raconte plus en détail l’histoire de cette « audace ». Son titre : « Le choix de l’audace » précisément, signé Alain Guinot (éditions Le Manifeste-2022), jeune militant à l’époque, soutien de Séguy, et qui deviendra secrétaire confédéral plus tard. Il explique comment une peur panique traverse alors une partie de l’appareil CGT qui craint que celle-ci, avec le projet Séguy, « perde son caractère de classe », et que cela menace aussi l’avenir du Parti communiste. Dès lors, au lendemain du congrès se met en place « une direction confédérale parallèle » appelée « comité des luttes » (une fraction occulte, pratique pourtant interdite dans les statuts), animé en sous-main par Henri Krasucki (et discrètement par Georges Marchais). A tel point, écrit Alain Guinot, que ce « Comité des luttes » acquiert finalement « plus d’autorité que celle du bureau confédéral » (page 89). On connait la suite : Krasucki devient secrétaire général en 1981 et abandonne totalement l’audace unitaire et potentiellement antistalinienne du 40ème congrès. La CFDT n’y avait d’ailleurs pas répondu, étant elle-même en phase de premier « recentrage ».

Georges-Seguy

S’ouvre alors une période sectaire de la CGT, dont Krasucki lui-même, ouvrant les yeux, appellera à sortir 10 ans plus tard au 44ème congrès de 1992, passant la main à Louis Viannet. Faisons les comptes aujourd’hui : 45 années de retard !  Car Louis Viannet tentera lui aussi d’innover avec ledit « syndicalisme rassemblé », mais dans un tout autre contexte, reconfiguré par l’offensive néolibérale, et avec aussi le tournant à droite de la direction CFDT. « En 1995, la CFDT passe à l’acte. Elle soutient une réforme d’un gouvernement de droite » explique Marcel Grignard (dirigeant de la CFDT dressant en 2009 un bilan stratégique). Mais Louis Viannet refuse d’instituer un cadre pérenne avec les syndicats mobilisés de 1995 (FO, FSU, Solidaires, secteurs de la CFDT).

Quand l’histoire se répète, mais « en farce » (Marx)

Lire les révélations d’Alain Guinot sur le 40ème congrès CGT sonne étrangement aujourd’hui. Après 1978, le PCF avait encore la main sur la CGT. C’est précisément ce qui n’est plus possible. Ce pourquoi l’histoire va se répéter, mais « en farce ».

Le problème éclate lors de la crise de succession de Bernard Thibault (de 2011 à 2013). Déjà un débat était exigé par des directions de fédérations (le bâtiment par exemple) pour résoudre les problèmes de direction, contre la méthode du secrétaire général (qui « désignait » lui aussi une femme, mais sans orientation affichée), rejetée par toutes les structures. La crise directionnelle battait son plein, parce qu’aucune procédure démocratique n’était en mesure de remplacer l’arbitrage devenu fantomatique du PCF. Le mandat de crise de Thierry Le Paon s’est effondré dans le scandale, symptôme d’un mal plus profond. Vient aussi le moment (2016) de l’éclatement du Front de gauche (2016), ressenti comme une humiliation au sein du PCF, et parmi les cadres communistes dans la CGT.

Lorsque Philippe Martinez (qui n’est plus membre du PCF depuis longtemps) prend les commandes de la CGT en mars 2016 au 51ème congrès de Marseille, en plein mouvement social contre la Loi Travail que la CFDT a négociée (et même réécrite), il donne des gages aux secteurs CGT qui souhaitaient tourner la page CFDT. On est allé trop loin avec la CFDT, dit-il en substance. Mais quand ? Cela reste à préciser. Est-ce avec le slogan devenu creux du « syndicalisme rassemblé » ? Peut-être, mais une dérive droitière de la CGT confédérale (?), ce n’est pas la même chose ! Des amendements à Marseille voulaient supprimer la référence unitaire sans contenu. Mais le danger était de ne la remplacer par rien.  Elle est restée dans le texte adopté, telle une relique.

Pour former son bureau confédéral, Martinez avait cependant évincé Sophie Binet, qui avait contribué à déclencher en février 2016 la pétition « Loi travail : non merci » avec 1,3 million de signataires (un record à l’époque) dynamisant la lutte. La méthode « réseaux sociaux » était nouvelle, bien en phase avec des attentes dans la jeunesse par exemple, comme l’ont montré au même moment des vidéos virales. Mais c’est ensuite le même Martinez qui va saluer, le 1er mai 2016, les occupants de Nuit Debout place de la République à Paris, en discutant de la « grève générale » (qui certes ne se déclenche pas en appuyant sur un bouton, précise-t-il).  On découvre donc un Martinez ayant de bonnes intuitions, qui fait des « coups », mais… seul aux commandes.

Ensuite, depuis au moins le 42ème congrès de 2019, une résistance, sourde d’abord, très fractionnelle ensuite, s’organise dans la CGT contre des décisions confédérales. Celles-ci bousculent la tradition sur l’écologie, le féminisme (voir encadré), l’unité structurelle du rapprochement avec la FSU et Solidaires, sans abandonner le « syndicalisme rassemblé ». Un certain type de « réveil » communiste n’y est pas étranger (après le congrès PCF de 2018 : voir en conclusion ci-après). Et, face à lui, un autoritarisme (bien dans la tradition aussi) du Bureau confédéral de Philippe Martinez, autoritarisme assumé comme la seule voie possible contre ceux qui résistent à une CGT plus en phase avec l’évolution contemporaine du salariat. Le choc s’annonce inévitable.

Il éclate sur plusieurs questions : les violences sexistes et sexuelles et la manière de les traiter, mais aussi sur la mise en place du Collectif Plus jamais ça en 2020, sans s’accompagner d’un débat dans les structures.

Sur la critique du « virilisme » et des violences, des actes documentés par les militantes de la CGT ville de Paris (et Médiapart), contre un dirigeant CGT, aboutissent à un terrible affrontement entre la direction de la Fédération des services publics, qui soutient ce militant, et l’équipe de l’Union Syndicale territoriale. Cela durera des années. La Fédération a « gagné », au prix du dé-mandatement d’une brutalité inouïe de 500 délégué-es (depuis pour partie passé-es à la FSU) !

Le « Cadre commun d’action adopté contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans la CGT »

Le travail pour l’adoption au Comité confédéral national (CCN) juste avant le 53ème congrès CGT de ce « cadre » commun a pris plusieurs mois. Il a été mis en débat par la « cellule de veille » sur les VSS et fait suite à plusieurs plaintes touchant parfois des responsables nationaux ou locaux (voir exemple ci-dessus). Ce fut donc un exercice collectif de grande ampleur, appuyé sur de nombreux débats et correctifs, dans une ambiance constructive. Parmi les points réputés « difficiles » du congrès, celui-ci est donc allé à son terme, grâce à ce travail démocratique. Certaines militantes estiment cependant qu’il ne va pas assez loin dans l’attitude à prendre au cas où des structures refuseraient d’appliquer les mesures proposées, face à des situation concrètes (suspension de responsabilités notamment).

Extrait :

Après audition des personnes (victime et mis en cause), « Les décisions devront viser deux objectifs :

  • L’éloignement, le  dé-mandatement ou toute autre mesure qui signifient clairement que la CGT se désolidarise du ou des mis en Ce qui est primordial, c’est d’assurer la sécurité des femmes à la CGT, comme lors de manifestations, rassemblements, assemblées générales, et dans tous les lieux et moments de la vie syndicale, et de s’assurer que la représentation de la CGT soir conforme à ses valeurs. Ce de point de vue, sans recourir à un quelconque fichier, une vigilance particulière s’impose quant à la possible itinérance du mis en cause en interne de la CGT, notamment le passage de l’interprofessionnel à une fédération, ou inversement.

 

  • La restauration d’un climat non sexiste et de confiance permettant à la victime de reprendre sa place dans le collectif, ou d’un prendre une nouvelle. Il faudra alors respecter son cheminement. 

 

 Avec le collectif Plus jamais ça, le clivage portera d’abord sur l’absence de décision démocratique (incontestable) ayant précédé la formation du collectif entre la CGT, la FSU, Solidaires, et les « ONG » (dont Greenpeace). Une phrase évidemment explosive, tirée des 34 mesures d’urgence publiées au printemps 2020, met le feu aux poudres : pas de nouvel investissement dans l’industrie nucléaire. C’était… avant que Macron n’annonce la construction de 6 nouveaux EPR !

Plus Jamais ça : les 34 mesures (extrait)

 Mesure 29 : L’arrêt des soutiens publics aux acteurs polluants

Les entreprises et acteurs financiers actifs dans les secteurs carbonés et destructeurs de la biodiversité doivent cesser de bénéficier d’exemptions fiscales, d’aides et subventions publiques (aides à l’agriculture et à la pêche industrielles, à l’exportation et à la promotion, à la déforestation importée…). Aucun investissement public ou garanti par l’État ne doit soutenir le secteur des énergies fossiles ni le développement de nouveaux projets nucléaires, des industries fortement polluantes, de la pêche et de l’agriculture industrielle. Les aides accordées dans le plan d’urgence aux transports polluants comme celles octroyées par le gouvernement sans contreparties à Air France doivent être soumises à des obligations sociales et environnemental

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On n’a jamais raison contre la démocratie

En résumé, depuis des dizaines d’années, la CGT a vécu sur son capital historique de syndicat de lutte de classe. Lequel n’était pas vraiment menacé, du fait que la CFDT avait considérablement dérivé. Et surtout, des équipes de terrain, formées au « réel » du salariat, puis devenues des cadres d’animation (unions interprofessionnelles surtout et certaines fédérations), ont enrichi ses pratiques et sa réflexion. Le rapport au PCF a été réellement mis à distance, y compris malheureusement jusqu’à produire une dépolitisation par peur de reproduire des mécanismes surannés. Mais il n’a jamais été remplacé par une nouvelle manière de produire du « politique » sans être à la remorque d’un parti (cf. : l’épisode du Traité constitutionnel européen en 2005, lorsque la direction confédérale ne voulait pas initialement prendre position).

Des innovations importantes ont cependant pu émerger. Sur l’égalité femmes-hommes (commission femmes-mixité animée par Sophie Binet, en lien avec le mouvement féministe), sur un travail unitaire en continu dans la Fonction publique (avec la FSU et Solidaires), et sur la réflexion écologique, portée par des délégués au 52ème congrès en 2019. Mais les décisions anciennes (datant de 2009 !) de remaniements des structures devenues inadaptées à la syndicalisation, n’ont jamais été appliquées. Notamment à cause de l’inertie bureaucratique des fédérations.

Ainsi l’image de la CGT souvent perçue comme un bloc soudé et discipliné est à l’opposé de la réalité : chaque structure fait un peu ce qu’elle veut, applique ce qu’elle juge bon, notamment quant à la gestion de son pré-carré. De plus, dans une certaine culture ouvrière, prolifèrent en même temps un mélange d’anarchisme de terrain et de respect des symboles : notamment du secrétaire général. Celui qui est au faite de l’édifice et qui fait tenir debout celui-ci. A un moment, les problèmes non résolus font irruption sur… le « général ». Thibault a connu cela. Martinez encore plus (voir plus loin ses propres méthodes).

D’autant plus, comme on l’a vu, qu’il est arrivé un moment où la CFDT a supplanté la CGT aux élections nationales de représentativité (premiers résultats compilés en 2017). Il se confirme qu’elle perd plus d’adhérents qu’elle n’en recrute (100 000 de moins en 10 ans). S’ajoutent à cela des émergences « civilisationnelles », un changement d’époque.  C’est clair : il faut que cela change.

La CGT a surmonté la mutation du travail du début du 20ème siècle, du métier à l’industrie concentrée. Aujourd’hui, une autre est en cours. Avec le  néolibéralisme dominant, on ne sait plus où est le patron, les procédures numériques remplacent la sociabilité des collectifs, on rencontre sur les sites de travail des sous-traitants venant de partout à la place des camarades d’ateliers, les jeunes n’ont plus de poste fixe avant 30 ans, les femmes sont quasiment la moitié du salariat (mais pas partout !), le mouvement mondial #Metoo s’immisce dans la vie privée et met en question le virilisme omniprésent, des scientifiques et des « sachants » disent que « nos » industries, « nos » produits et « nos » habitus professionnels doivent changer du tout au tout d’ici 10 ans.

Le syndicalisme doit affronter ces défis, sous peine de mourir à petit feu (cf. : l’irruption des cortèges de têtes massifs dans les manifestations). A surgi dans la société et les luttes autre chose que le seul syndicalisme. Ce n’est pas totalement nouveau, mais il y a de plus en plus d’associations, qui défrichent des terrains de lutte, mobilisent avec des méthodes différentes. A la faveur des Universités d’été des mouvements sociaux, des luttes contre la mondialisation capitaliste (le G7 à Biarritz en août 2019), des luttes des migrants, du renouvellement de l’antiracisme, des dialogues se sont noués entre le syndicalisme et les associations (ou « ONG »). Et puis il y a eu le mouvement très populaire des Gilets jaunes, sur un terrain revendicatif où le syndicalisme a brillé par son absence nationale.  Et le COVID-19 a tout percuté. Une atmosphère de « plus jamais ça » s’est alors répandue, certes face au COVID, mais en réalité plus générale : faire autrement, écouter, apprendre, renouveler. Une partie importante de la CGT a compris cela, sans doute davantage que le score des 50% qui a partagé le récent congrès confédéral en deux parties quasi égales.

Une autre partie a senti une menace : les choses vont trop vite, et sans débat préalable. Notamment pour plusieurs fédérations. Pourquoi l’équipe Martinez a-t-elle considéré qu’il fallait passer en force ? Au-delà des caractéristiques personnelles, peut-être parce que dans la CGT « c’est toujours comme cela » que cela se passe ? C’est exact. Mais c’est un pari perdu, apparu comme une succession de coups politiques non maîtrisés. Là encore le monde bouge. Parmi les mutations nécessaires il y en a une supplémentaire, qui est la condition de validité de toutes les autres : la démocratie. On ne peut pas passer sur le corps des structures. On n’a jamais raison contre la démocratie.

Jusqu’où iraient certains dans la CGT ?

Parmi les équipes qui ont mené la fronde contre Martinez et le choix de Marie Buisson comme future secrétaire générale, il n’est pas simple de démêler celles (nombreuses !) qui n’en pouvaient plus des méthodes verticalistes (et qui ont participé à la sanction du bilan d’activité), et celles qui ont un vrai contre-projet pour la CGT. Un projet préparé de longue date : site internet (UnitéCGT), réunions nationales, mobilisations concurrentielles à celles de la confédération, contre-texte au congrès, et candidature au poste de secrétaire général (Olivier Mateu des Bouches du Rhône).

Mais leur musique lancinante se mélange à des inquiétudes répandues face à l’évolution du monde et des luttes :  ce n’est plus « notre » CGT qui se transforme ; on passe du syndicalisme de classe au « syndicalisme sociétal » (collectif « Plus jamais ça » avec « les ONG »). Et enfin : une « recomposition » avec la FSU et Solidaires qui signerait « la mort » de la CGT. Rien que cela ! Ce sont-là les premières phrases en voix off d’une vidéo publiée par le site UnitéCGT, qui regroupe les structures oppositionnelles partisanes d’un retour de la CGT dans la Fédération syndicale mondiale (FSM), laquelle pactise avec des régimes fort peu recommandables (lire dans le blog syndicollectif.fr l’article de Jean-Marie Pernot : « De quoi la FSM est-elle le nom ? »).

Or, il ne s’agit pas pour ces dirigeants dits « pro-FSM » (fédérations, unions départementales, syndicats…) d’une simple « opinion » ou d’une rhétorique « lutte des classes » sous le label FSM. Mais d’une implication active au plus haut niveau de la FSM, de voyages chez Bachar el- Assad en Syrie, et chez le maréchal Sissi en Egypte. Ce sont là des faits et des engagements que les syndiqués de base ne soupçonnent pas, sauf quand une militante iranienne invitée au congrès sans mâcher ses mots a décrit comment agissent les dirigeants (masculins) de la FSM de Téhéran quand la mobilisation populaire ose affronter le régime.

On n’ose pas imaginer ce que deviendrait la CGT si ces militants parvenaient à leurs fins. Heureusement la probabilité est faible. Leur motion demandant la réintégration de la CGT à la FSM (dont elle est sortie au congrès de 1995) n’a recueilli que 28 % des voix. Certes une minorité, mais une bien trop forte minorité, inquiétante si on prend la peine de lire la prose de ces secteurs.

Citations :

  • Sur le prétendu « recentrage» de la CGT,  la fédération de la chimie écrit ceci en juin 2023 : « Ce qu’on a appelé le « recentrage » de la CFDT s’est produit vers 1978… Mais ce qui est tabou dans la CGT, c’est de reconnaître que ce phénomène de recentrage a également été mis en œuvre dans notre organisation à partir des années 1990 et s’est accentué avec l’arrivée de Bernard Thibault à la tête de la CGT ».
  • Bilan de la lutte retraites : « Le bilan est désastreux pour le monde du travail. L’orientation stratégique du dialogue social a « normalisé » la CGT pour la rendre compatible avec le capitalisme… ».
  • Le contre texte proposé au 53ème congrès depuis l’automne 2022 préconisait une autre stratégie : « Une stratégie possible pourrait être : lundi pas de bateau, mardi pas de trains, mercredi pas de camions, jeudi tous ensemble en grève et dans la rue, vendredi pas de plateforme logistique, etc. Ceci combiné avec des grèves reconductibles de 1h à 24h par jour… ». Cette stratégie « est basée sur l’unité des organisations de la CGT, elle a pour but et moyen, l’unité d’actions des travailleurs, ce qui amènera naturellement à l’unité syndicale ».

Cela se passe de commentaire.

Quel avenir ?

Fort heureusement le congrès a réussi, dans les toutes dernières heures, à surmonter une possible désagrégation. Quelques voix ont manqué à Marie Buisson dans le Comité confédéral national (CCN) du congrès, instance qui élit le Bureau confédéral (BC), et le ou la secrétaire générale. Face à l’impasse qui se profilait, Sophie Binet a su prendre l’initiative du rassemblement, largement approuvée. Depuis, la CGT gagne de l’audience politique en poursuivant la stratégie de l’intersyndicale nationale, ne faiblit pas sur sa combativité, réussit avec l’aide confédérale à gagner des luttes (VertBaudet), et consolide même son dispositif pluraliste de direction. Mais il est permis de penser que tout n’est pas résolu et qu’il faudra du temps pour réaborder les questions laissées en suspens.

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Au total que nous apprend ce congrès ?

  • Une forme de résurgence stalinienne est apparue. Celle-ci n’avait jamais totalement disparu, elle a même la vie longue, et manifeste une vraie continuité dans ses manières de faire (période 1978-2023, 45 ans). Mais ce qui doit interroger, ce sont les raisons pour lesquelles ce genre de réapparition trouve un écho dans la CGT, au-delà des secteurs qui les propagent. On peut faire l’hypothèse que dans un monde en pleins bouleversements, où les espoirs d’émancipation collective ont été brisés, sans qu’émergent de nouvelles réponses aux questions civilisationnelles, la simplification et le repli sur des certitudes du passé servent à combler le vide et l’angoisse. Cela ne se produit pas uniquement dans la CGT. C’est un danger du moment présent. Une nouvelle manière de « faire politique » fait aussi partie des tâches syndicales (« double besogne »). Sinon d’autres s’en occupent de la pire façon.
  • Cette pseudo-réponse régressive trouve une cohérence actualisée dans une vision néo-campiste qu’on pouvait croire disparue, dans un curieux mélange de pacifisme plus qu’ambigu (la France qui « livre des armes» à l’Ukraine, « bras armé de l’OTAN », est dénoncée sur le site UnitéCGT), de radicalisation verbale anticapitaliste et « révolutionnaire », de défense nationale de « nos » industries face au mur du saut écologique.
  • Cette résurgence néostalinienne ne se réduit pas, dans la CGT (et heureusement), aux aspirations diverses des communistes, qui n’ont pas toutes la même appréciation des évolutions depuis le congrès du PCF de 2018.  Ce congrès a certes remis à jour une « identité perdue » intrinsèquement liée à l’épisode unitaire du Front de gauche, et même auparavant aux processus qui ont mené à la victoire de 2005 (TCE), à qui il est reproché d’avoir dilué l’autonomie du projet communiste. Ainsi la question des dynamiques unitaires devenues en quelques sorte « incontrôlables », car mettant en cause le maintien du « parti », pèse d’un poids très lourd dans l’expérience militante des communistes. Cela peut rejaillir aussi dans la CGT.  Mais le temps n’est plus (et ne peut revenir) où le Colonel Fabien dicte ses choix à la CGT. Ce qui peut alimenter des aspects encore plus inquiétants, à la recherche d’un « vrai » parti communiste (comme le montre le Pôle de renaissance communiste en France – PRCF – dans ses liens avec des responsables nationaux CGT) et donc d’une « vraie » CGT qui y correspondrait.
  • L’autre défi est la difficulté à surmonter un choc d’évolution, et d’admettre que la CGT a besoin d’un changement complet de perspectives historiques, pour elle certes, mais aussi en direction de tout le syndicalisme. Le lien au monde associatif, d’ailleurs toujours réaffirmé au congrès, ne peut se réduire au coup par coup. Il doit se pérenniser dans une réciprocité. Il en va d’ailleurs de même avec par exemple les associations écologistes : elles sont diverses mais qu’est-ce qui les distingue ? N’ont-elles pas aussi des questions à se poser ?
  • « L’intersyndicale» se projette pour l’automne 2023 dans sa réunion et son communiqué du 15 juin. Très bonne nouvelle ! Une question néanmoins se pose : sans vouloir brûler les étapes, peut-on considérer que le maintien de huit organisations syndicales nationales est une perspective durable ? Bernard Thibault avait dit en son temps qu’il n’y a pas huit stratégies différentes justifiant cet émiettement. Alors que les « huit » font état de 100 000 adhésions depuis janvier, ne peut-on pas imaginer à nouveau des campagnes communes de syndicalisation ?

Par ailleurs, la CGT ne peut pas répéter dans ses statuts vouloir viser une « unification » du syndicalisme, et rester paralysée à l’idée d’aller plus loin avec des partenaires proches (FSU, Solidaires). La CGT pourrait envisager que ses frontières d’organisation ne sont pas éternelles. Un tabou ? Est-il contradictoire de viser un certain type d’unification syndicale et de renouer en même temps des liens plus structurés avec la FSU et Solidaires ? A son dernier congrès, la FSU avait proposé « un nouvel outil syndical », « sans exclusive ». Et Solidaires avait posé à l’automne 2021 la question d’une « recomposition », notamment pour faire face à la menace d’extrême-droite. La CGT pourrait être la force motrice de ces évolutions. Aura-t-elle cette audace ?

Le 16 juin 2023.

Bibliographie :

Alain Guinot :  Georges Séguy, le choix de l’audace, contribution au débat sur l’avenir du syndicalisme, préface de Bernard Thibault, Editions Manifeste, 2022, 12 euros.

Baptiste Giraud, Karel Yon, Sophie Béroud : Sociologie politique su syndicalisme, Armand Colin, 2018.

Jean-Marie Pernot : Le syndicalisme d’après, Ce qui ne peut plus durer, Editions du Détour, 19,90 euros.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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