Congrès CGT (3) : parlons de la FSM

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Alors que la CGT a décidé en 1995 de quitter la Fédération syndicale mondiale (FSM), on se demande bien pourquoi certaines organisations de la CGT continuent à s’y référer. Cet article de Jean-Marie Pernot à propos de l’attitude de la FSM face au mouvement de rébellion populaire en Iran peut aider à se repérer.

6697929image RTVE

La FSM soutient la répression du peuple iranien

 

 

 

Jean-Marie Pernot

Politiste

 

Depuis septembre 2022 a débuté en Iran une vaste protestation populaire après la mort de la jeune Mahsa Amini survenue lors de son arrestation par la police des mœurs. D’immenses manifestations ont traversé le pays témoignant, au-delà du cas de la jeune fille, d’un rejet du régime par une importante partie de la population. Les images circulent, montrant la violence des forces de sécurité notamment à l’égard des femmes, particulièrement mobilisées. Passages à tabac de celles et ceux qui participent aux manifestations, condamnations à mort et exécutions de certains d’entre eux à l’issue de procès expéditifs. Au moment où les manifestations retombent, l’ONG Human Rights rapporte plus de 550 personnes tuées (dont 71 enfants) par les forces du régime. Celui-ci a annoncé en décembre 2022 la suppression de cette « police des mœurs » sans que rien n’ait pu être vérifié sur ce point. La jeunesse iranienne s’est montrée particulièrement mobilisée avec ce beau mot d’ordre repris dans tout le pays : « Femmes, Vie, Liberté ».

La FSM et l’IRAN

Pourquoi dire que la FSM a soutenu cette répression ? Tout simplement parce qu’elle n’en a pas parlée, c’est-à-dire qu’elle ne l’a pas condamnée. La principale activité de la FSM est de produire des communiqués. Toutes les questions du monde, du moins celles qui l’intéressent, font l’objet d’un soutien ou d’une condamnation : depuis quelques semaines par exemple, l’Indonésie, le Pérou et d’autres font l’objet d’interpellations et de condamnations.  Mais on cherchera en vain sur les derniers mois la moindre référence à ce qui se passe en Iran. Ce n’est pas une première : après la déjà très sanglante répression du mouvement populaire au début de 2018, la FSM s’était réfugiée dans un silence total face aux exactions du régime. Le ministre de l’Intérieur iranien de l’époque avait rappelé que les manifestations étaient illégales, les organisateurs de celles-ci étant menacés d’inculpation « d’inimitié à l’égard de Dieu » et donc passibles de la peine de mort. Depuis septembre 2022, comme en 2018, les autorités mettent en cause l’Occident comme si le rejet de ce régime par une grande partie de la population ne pouvait trouver d’autres raisons que la propagande occidentale, à laquelle d’ailleurs elle est fort peu exposée du fait de la limitation des libertés.

Ce silence ne peut étonner que ceux qui ignorent la réalité de la FSM. Concernant l’Iran, il convient juste de savoir qu’un des vice-présidents de la FSM est le représentant de la « Maison des travailleurs », organe du régime des Mollahs censé représenter les travailleurs d’Iran. Député de Téhéran à l’Assemblée islamique, il a été le fondateur du Parti du travail iranien à la fin des années 1990, relai docile de la mise au pas des travailleurs qui luttent dans ce pays contre l’ultralibéralisme mis en œuvre par le régime.  Alors que le code du travail a été réduit à néant et que ce qu’il en reste ne s’applique qu’à une petite minorité, le régime emprisonne à tour de bras toute tentative d’organisation autonome des travailleurs : le droit de grève est interdit comme le droit de manifester, à part, bien sûr, ce que le pouvoir organise lui-même ; le reste, chacun a pu le voir grâce aux images qui ont fait le tour du monde. La FSM cautionne ce régime comme d’autres dans la région et ailleurs et, du coup, il est permis de s’interroger sur la nature de cette organisation que certains, ici, présentent comme « l’organisation internationale de classe des travailleurs du monde entier ».

L’Iran n’est pas le seul révélateur de la réalité de la FSM. A son conseil présidentiel siègent également des représentants de syndicats du Vietnam, de Corée du nord, de Bahreïn, et de quelques autres dont l’imbrication dans leur régime politique est notoire. Parmi ses adhérents notoires, on peut aussi compter les syndicats du Laos, du Cambodge, mais aussi d’Arabie saoudite ou du Qatar.

Le cas de la Fédération des syndicats de Syrie est particulièrement édifiant :  en 2011, au moment où Assad entreprend une répression de son propre peuple à coups de bombes et d’armes chimiques, le congrès de la FSM place à sa tête le président de la Fédération des syndicats syriens (Muhammad Shaaban Azzouz, président de la FSM de 2011 à 2016)[1]. Celui-ci devenait à la même époque un des principaux dirigeants du parti Baas, à l’occasion de la reprise en main du parti par Bachar al Assad. Si la guerre civile imposée par le régime s’est internationalisée par la suite et transformée avec l’irruption de Daesh, le point de départ est un mouvement populaire qui, dans le sillage des contestations qui ont suivi le soulèvement tunisien de 2011 (dites des « Printemps arabes »), mettait en cause la main de fer du clan Assad sur le pays.

La centrale syndicale syrienne est la plus importante numériquement et symboliquement de la région. C’est à Damas qu’a été créé en 1956 la Confédération internationale des syndicats arabes (CISA), elle est aujourd’hui le pilier de la FSM dans la région : lorsque la FSM a été priée de quitter Prague par le gouvernement tchécoslovaque au début des années 90, elle a d’abord trouvé refuge à Damas avant de se réinstaller à Athènes où elle demeure aujourd’hui. Une manifestation organisée par la FSM s’était tenue en 2015 dans la capitale syrienne en soutien au régime. Cette assemblée avait réuni 200 participants parmi lesquels deux cégétistes des Cheminots de Versailles et de Trappes, transportés de Beyrouth à Damas par « un camarade du Hezbollah » (dixit l’un des deux participants français)[2]. Une troisième édition de ce forum s’est tenue en 2019 à Damas où un soutien plein et entier au régime a été réaffirmé par le président de la Fédération générale des travailleurs de Syrie mais aussi par le secrétaire général de la FSM[3].

Un point commun à nombre de ces organisations de la FSM est de s’inscrire à l’intérieur de régimes où n’existe aucune liberté individuelle ou collective et pratiquant une répression extrêmement brutale ; on peut s’étonner également que cette organisation, « cœur battant de la classe ouvrière », semble si parfaitement à l’aise avec les politiques économiques souvent très libérales de ces régimes (pour ne pas parler du traitement des travailleuses et des femmes en général). En tous cas, il n’est aucunement surprenant de constater l’absence de la FSM sur la défense du droit de grève devant l’organisation internationale du travail (OIT) puisque ce droit est inexistant dans la plupart de ces régimes. Ce qui n’empêche pas la dite FSM de contester l’OIT dans laquelle la représentation syndicale serait « monopolisée par les syndicats jaunes »[4]. Entendez par syndicats jaunes non pas ceux qui n’ont rien à faire du droit de grève mais ceux qui se battent pour sa reconnaissance internationale. Plutôt étrange pour une « organisation de classe » !

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici de porter jugement global sur des organisations qui ont de bonne raisons de se sentir soutenues par la FSM ; il ne s’agit pas non plus d’exalter la référence à la CSI qui n’est pas un modèle très attractif (pour le dire gentiment) ; s’il existe bien au sein de la FSM des syndicats qui luttent et qui représentent des travailleurs, il y en a aussi pas mal d’autres qui n’ont rien à voir avec une telle représentation. La désignation comme « syndicat » est totalement trompeuse car dans les pays où les travailleurs sont dépourvus de toute liberté (liberté d’association, de réunion et d’information), l’idée selon laquelle les syndicats «  représentent les travailleurs » n’a aucun sens : ce sont des outils de domestication des travailleurs au service de l’État dit « socialiste » pour certains (Vietnam, Laos, Cambodge, Corée du nord…), de l’État laïque autoritaire comme la Syrie ou l’Irak, ou de l’État sous la loi islamique (Bahreïn, Arabie Saoudite, Qatar…).

Il existe d’autres syndicats au sein de la FSM qui se battent et pratiquent la grève. Pourquoi s’intéresser particulièrement à ceux évoqués ici ? D’abord ils sont tout de même assez nombreux mais surtout ceux-là comptent beaucoup, tout simplement parce que ce sont les principaux financeurs. L’entretien d’une organisation internationale, qu’elle soit de classe ou autre chose, ça coûte cher. Et ceux qui financent, ici comme ailleurs, ce sont ceux qui ont un intérêt à l’affaire.

D’où la question : de quoi la FSM est-elle le nom ?

(À suivre)

[1] Décédé il y a peu, Shabaan Azzouz fait l’objet d’un long panégyrique sur le site de la FSM. Il avait passé le témoin à son fils Adnan Azzouz, actuel vice-président de la FSM. Les charges syndicales sont souvent héréditaires à la FSM et pas seulement dans le cas syrien.

[2] Selon L’Obs, https://www.nouvelobs.com/monde/20161007.OBS9495/les-voyages-tres-politiques-de-deux-secretaires-cgt-en-ukraine-et-en-syrie.html. Interrogé par le journaliste, ce militant dit qu’il a peut-être été manipulé. Ça lui a plutôt réussi puisqu’il est depuis lors membre du secrétariat de la FSM.

[3] D’après le site SANA, agence arabe syrienne d’information Coup d’envoi du forum syndical international pour la solidarité avec les ouvriers et le peuple syriens – Agence Arabe Syrienne Informations (sana.sy)

[4] Thèses et priorités, 18° Congrès mondial, 6-8 mai 2022. FSM, p 17.

 

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