Dans le monde : syndicalisme et extrême-droite (note CGT)

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L’espace international de la CGT publie une note sur les attitudes du syndicalisme dans le monde face à l’extrême-droite, notamment lorsqu’elle gouverne. La situation en Italie est décrite en détail, avec aussi l’action de la CGIL.

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Attitudes et stratégies syndicales face à l’extrême droite au pouvoir (Argentine, Brésil, Espagne, Italie, …)

 

Comment réagissent – et agissent – les organisations syndicales lorsqu’elles sont confrontées à un pouvoir d’extrême droite arrivé au pouvoir par les urnes ?

Cette note vise à apporter des éléments d’information et de réflexion sur la base de renseignements collectés directement auprès de nos homologues syndicaux.

Dans une première partie nous présentons la situation italienne. Puis dans un second temps, nous tentons de dégager quelques réflexions et conseils stratégiques à partir d’un débat organisé par la CES au sujet de la situation en Argentine, éléments complétés par des échanges bilatéraux que nous entretenons avec les OS brésiliennes et argentines.

1/ La situation italienne

Depuis octobre 2022, l’Italie est dirigée par un gouvernement de coalition Fratelli d’Italia – Lega – Forza Italia, gouvernement présidé par Georgia Meloni. Fratelli d’Italia – dirigé par Georgia Meloni – et la Lega sont deux partis d’extrême droite. Forza Italia, fondé par Silvio Berlusconi, est classé au centre droit libéral-conservateur.

Il convient de noter que l’accession au pouvoir de l’extrême droite s’est faite au terme de la séquence suivante qui fait beaucoup penser à la situation française :

  • Destruction des partis politiques traditionnels : PCI, Démocratie Chrétienne,
  • Montée de forces populistes : Mouvement 5 étoiles
  • Réformateurs néolibéraux : Renzi (Macron)
  • Gouvernement « technique » : gouvernement Draghi
  • Gouvernement dirigé par l’extrême droite : Meloni

Attitude syndicale face à un pouvoir d’extrême droite

Le débat interne à la CGIL quant à l’attitude à tenir face à un pouvoir d’extrême droite a eu lieu au début des années 2000 lorsque la Lega a eu ses premiers postes ministériels.

Il a été décidé que les Ministres ou Président de Régions issues de l’extrême droite seraient invités uniquement en respect de leur rôle institutionnel et en précisant bien que cela ne valait aucunement approbation de leurs idées, de façon à couper court à toute spéculation concernant une alliance/connivence avec les forces d’extrême droite. En dehors de ce respect du rôle institutionnel, il

 

n’y a aucun lien ni invitation. La CGIL invite toujours le Premier Ministre en exercice à son congrès. L’invitation de Georgia Meloni au dernier congrès de la CGIL a donné lieu à un débat interne fort : il a été décidé que Meloni serait invitée en tant que 1er Ministre, en respect de la constitution.

Nos camarades de la CGIL nous rappellent que le gouvernement italien actuel ne comporte pas uniquement des forces d’extrême droite (Cf. Forza Italia qu’ils jugent « modéré »).

La CGIL estime qu’il faut se confronter au pouvoir afin de porter les revendications et besoins des adhérents, ce qui implique aussi de participer à des réunions avec le gouvernement, tout en maintenant une activité revendicative soutenue : grèves, manifestations.

Cependant, deux cas de figure doivent être distingués : les réunions « politiques » sont jugées plus difficiles que les réunions « techniques ». Ainsi, la CGIL a fait le choix de participer à la récente réunion du G7 dirigée par Meloni et n’a pas hésité à faire part de ses préoccupations relatives aux libertés, à la montée de l’extrême droite, au niveau des salaires, aux questions climatiques, etc.

Cette attitude a suscité le mécontentement du gouvernement, qui n’apprécie pas la contestation et préfère les syndicats plus dociles, à l’image de la CISL qui se positionne sur une ligne « merci de nous avoir écoutés ».

Selon la CGIL, il y a donc une volonté gouvernementale d’affaiblir toutes les formes de dialogue social:

  • Réunions avec les représentants syndicaux et sociaux auxquelles le gouvernement associe systématiquement les syndicats « jaunes » non représentatifs, tels que l’UGL néofasciste ou des syndicats catégoriels et corporatistes qui n’ont aucun sens de la solidarité interprofessionnelle;
  • Après une introduction de 10 à 15 mn par le gouvernement, chaque organisation dispose de 3 mn pour intervenir, indépendamment de sa représentativité réelle. Pour mémoire, la CGIL compte 5 Millions de membres… Il n’y a ni échanges, ni conclusions.

Ce positionnement du gouvernement illustre bien le fait que Fratelli d’Italia est le seul parti qui n’est pas issu (et pour cause !) des forces politiques qui ont participé, après la seconde guerre mondiale, à la rédaction de la constitution italienne qui donne un rôle important aux interlocuteurs sociaux et aux syndicats. Pour le gouvernement, les syndicats doivent se limiter à la résolution des problèmes sur les lieux de travail car les partis sont les seuls à disposer de la légitimité nécessaire pour s’exprimer sur les questions générales.

Développement de la lutte syndicale

Depuis l’accession au pouvoir de Meloni, la CGIL a organisé trois grèves générales.

La CGIL a également organisé 60 000 assemblées de travailleurs, principalement sur le lieu de travail, et à défaut au niveau de la localité, pour informer les travailleurs sur le contenu des lois adoptées par le gouvernement Meloni, notamment sur l’abolition du revenu de citoyenneté.

La CGIL a décidé de mobiliser le dispositif constitutionnel qui autorise la mise en place d’un référendum sur un thème donné lorsque 500 000 personnes signent une demande en ce sens. Fait notable, cette mobilisation se fait conjointement avec les forces politiques d’opposition, ce qui est nouveau.

Concrètement, la CGIL a lancé une grande campagne en vue d’obtenir la mise en place de quatre référendums destinés à abroger plusieurs dispositions sociales régressives et à les remplacer par d’autres plus progressistes en matière de :

 

  • Protection contre les licenciements : le Job Act, adopté en 2015 sous l’impulsion de Mateo Renzi, a eu pour effet de supprimer la réintégration des travailleurs injustement licenciés ;
  • Protection contre la précarité : la loi actuelle permet de recourir aux CDD sans aucune contrainte, contrairement à la situation précédente : la CGIL veut que le CDI redevienne la norme ;
  • Protection et amélioration de la santé et sécurité au travail : la CGIL souhaite que l’entreprise donneuse d’ordre soit responsable sur toute sa chaîne de sous-traitance en cas d’accident du travail ;
  • Unité et cohésion du pays : la loi dite « Autonomie différenciée » adoptée par le gouvernement Meloni remet en cause l’unité du pays en rendant possible des législations spécifiques à chacune des Régions sur l’éducation, la sécurité sociale, l’énergie, etc.

Chaque demande de référendum a recueilli plus d’un million de signatures.

La CGIL estime que la confiance des travailleurs envers le gouvernement a baissé de manière significative depuis 2 ans. Les travailleurs commencent à s’apercevoir que la politique du gouvernement d’extrême droite défend les intérêts des firmes multinationales (évasion fiscale, etc.) et que les négociations collectives piétinent, que les salaires n’augmentent pas, que le gouvernement a refusé la mise en place d’un salaire minimum.

Aux dernières élections européennes, Fratelli d’Italia a perdu 800 000 voix et la coalition de droite 1,4 Million, en raison notamment des campagnes d’information de la CGIL.

Développement de la violence

La CGIL est particulièrement préoccupée par le développement de la violence verbale et physique. Des groupes politiques, proches de Fratelli d’Italia, attaquent régulièrement les syndicalistes. Dernièrement, lors d’une manifestation à Rome contre le projet de régionalisation soutenu par le gouvernement, 4 militants de la CGIL ont été violemment tabassés par des activistes d’extrême droite.

 

2/ Réflexions et conseils stratégiques

Ces éléments stratégiques se basent principalement sur un débat organisé par la CES le 2 juillet 2024. L’initiative portait sur la situation en Argentine et visait à organiser des échanges croisés sur les stratégies de luttes contre l’extrême-droite entre OS européennes et argentines. Il est complété par les échanges bilatéraux que nous entretenons avec les OS brésiliennes et argentines.

Les formes que prend la lutte contre l’extrême-droite sont dépendantes de l’histoire syndicale et des traditions politiques, singulières dans chaque pays. Cela est particulièrement vrai quand on traite de la question toujours délicate des rapports entre organisations syndicales et partis politiques, et a fortiori ceux en capacité ou ayant gouverné récemment. Néanmoins dans un contexte de lutte contre l’extrême-droite, il ressort des éléments stratégiques largement partagés :

  • Il y a une insistance sur l’importance de l’unité syndicale face à un pouvoir d’extrême-droite. Des pans entiers du syndicalisme (confédérations, branches professionnelles, ou syndicats locaux) peuvent rapidement choisir de collaborer avec des gouvernements d’extrême-droite. Cela affaiblit mécaniquement le syndicalisme ayant choisi la voie de la résistance et constitue un danger immédiat.
  • L’unité est principalement défendue politiquement comme une dynamique pour rompre la fragmentation de la classe travailleuse, terreau sur lequel prospère l’extrême-droite, et non comme une fin en soi qui signifierait la fin des différences idéologiques rentre OS.

 

  • Les réponses locales, basées sur des assemblées de travailleuses et travailleurs, afin de s’organiser, de gagner en nombre adhérents et donc en rapport de force sont fortement soulignées par nos camarades (CGIL, CC.OO contre Vox, CTA-A et CTA-T d’Argentine, CUT Brésil).
  • Les camarades argentins insistent sur la nécessité de construire, à partir de ces cadres locaux, des alliances avec d’autres secteurs du mouvement social (diverses organisations territoriales, organisations de défenses des droits (humains, logements, chômeur, d’immigrés, organisations féministes, etc.)). Pour résister à la lame de fond néo-fasciste il faut un processus capable de rassembler le plus largement possible autour de revendications claires et atteignables.
  • Les camarades espagnols (CC.OO, UGT), hollandais (FNV), argentins (les trois centrales), brésiliens (CUT), insistent sur l’importance de travailler à un débouché politique. Ils considèrent que si le syndicalisme n’y travaille pas, il se condamne à des impasses.
  • Les camarades des OO, notamment en réaction à l’arrivée de Vox dans le champ politique espagnol, ont initié un travail important de formation de leurs militant.es, en insistant fortement sur l’aspect formation idéologique. Ils ont aussi réalisé un guide du militant sur son lieu de travail Comment parler de l’extrême-droite à ses collègues ?
  • Les camarades brésiliens de la CUT ont lancé au cours des années Bolsonaro les « Brigades numériques de la CUT ». Il s’agit d’un système de coordination entre confédération et syndicat pour contrer la désinformation d’extrême-droite et populariser les propositions syndicales. En pratique, une chaîne Whats App a été créée par la CUT, dans laquelle elle partage régulièrement du contenu (vidéos, images ou messages très courts). Chaque syndicat local et/ou militant.es de la CUT est invité à créer son propre groupe Whats App. Ils et elles sont invités à y ajouter leurs collègues mais aussi leur entourage proche. L’objectif est d’être en mesure de répondre par capillarité à la massivité de la propagande d’extrême-
  • L’importance de rendre visible la solidarité internationale est aussi mise en avant. Organiser des actions avec présence de délégations internationales, s’exprimant sur la situation et les inquiétudes qu’elles génèrent au-delà, montrant la solidarité entre travailleuses et travailleurs de différents pays, peut avoir un impact réel dans le débat public.
  • Un camarade de l’UGT Espagnol et la CGT Argentine ont souligné le fait de ne pas négliger de s’adresser au patronat, et en particulier celles et ceux qui n’ont pas céder aux sirènes autoritaires. Ces secteurs patronaux « démocratiques » sont des leviers dans la lutte contre l’extrême-droite.

 

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