Alex Legros, militant syndical CGT de la Sarthe (72), nous envoie cette contribution au débat sur l’industrie et la transition écologique.
L’industrie reste l’outil indispensable de la transition écologique
Le capitalisme est la société industrielle par excellence. Production et consommation de masse caractérisent l’ère industrielle, avec son corollaire d’impact sur la nature, sur les ressources naturelles, sa production de polluants et de déchets, sans oublier l’absurdité d’un système dans lequel il faut produire pour vendre et peu importe l’utilité sociale de ce que l’on produit, et peu importe les conditions sociales de production avec leurs conséquences sur les conditions de travail, les conditions de vie et la santé des travailleurs de l’industrie.
Mais st-ce l’activité industrielle qui est responsable des dégâts sociaux et environnementaux ?
Si c’est le cas ; la désindustrialisation des économies est la voix à suivre ; c’est à dire la décroissance au sens le plus strict, c’est-à-dire produire moins, beaucoup moins, pour limiter les impacts environnementaux.
Ou est-ce la logique d’accumulation capitaliste qu’il faut interroger ?
Dans le livre L’impossible capitalisme vert (éditions La Découverte), Daniel Tanuro arrivait à une double constatation concernant la crise climatique.
1° Le réchauffement climatique n’est pas le résultat de l’activité humaine, en soi, mais le résultat d’un mode de production déterminé, le productivisme capitaliste et sa logique de suraccumulation du capital.
2° Ce mode de production est incapable de résoudre la question, car la transition nécessaire impose de rompre avec sa logique d’accumulation et de répondre aux besoins sociaux.
Ce double constat s’applique aisément à l’activité industrielle !
Aujourd’hui l’industrie est contestée à double titre.
Premièrement pour les dégâts environnementaux qu’elle provoque. De l’extraction de matière 1ère, à la production de marchandises en passant par la production/consommation d’énergie, l’industrie menace l’environnement, empoissonne l’air l’eau et les sols, mais aussi ceux qui travaillent et / ou qui vivent à proximité des sites de production industriel.
Mais l’industrie est aussi considérée comme dépassée par les classes dominantes des pays développées, elle est rejetée, symboliquement au moins, en arrière-plan de la réussite et du développement économique. Certain iront jusqu’à théoriser une désindustrialisation heureuse, d’autre parleront d’entreprise sans usine. Derrière il y a un vaste enfumage idéologique visant à justifier un immense redéploiement de l’industrie à l’échelle mondiale, dans une recherche effrénée à la baise des coûts de production et à une financiarisation accrue de cette activité.
En 30/40 ans l’emploi industriel est passé de 5,9 millions en 1970 à 3,5 millions aujourd’hui.
La crise financière de 2008 a aggravé la destruction d’emploi dans ce secteur, 400 000 emplois directs détruits en 8 ans et, selon certaines études (OFCE…ou d’économistes atterrés) 3 à 400 000 destructions supplémentaires dans les emplois induits.
Et les menaces sur ce plan restent lourdes dans l’automobile, l’énergie, la chimie, le verre, la pharmacie, le ferroviaire, l’agroalimentaire….
Entre les années 80 et aujourd’hui, la part de la production industrielle dans la Valeur Ajoutée serait passé de 18 à 10% du PIB ; et les perspectives ne sont pas optimistes puisque les grands groupes des secteurs porteurs de ces dernières années le nucléaire, l’aéronautique, l’armement, le ferroviaire avec la grande vitesse, connaissent de grandes restructurations, des échecs industriels patents, et de toute façon ces secteurs n’ont pas de débouchés permanents. Et on peut sérieusement interroger l’utilité sociale des ces productions….
Cette désindustrialisation qui s’inscrit sur le long terme a été théorisé comme inéluctable. Pour les libéraux et les penseurs savants de la fabrique du prêt à penser, les pays développés sont condamnés, à plus ou moins court terme, à un avenir post industriel dans lequel les activités de services seront amenées à remplacer les activités de production.
La désindustrialisation heureuse, n’est qu’une posture idéologique !
Il y a 30 ans déjà que l’on nous parle de « la désindustrialisation heureuse » ou de « la société des services » voir de « la société des loisirs ».
Au début des années 2000, le PDG d’Alcatel, Serge Tchuruk, « inventait » l’entreprise sans usine.
Moulinex est un exemple de cette logique qui frappa ma région : une marque porteuse, une financiarisation de l’entreprise, et une stratégie basée sur la commercialisation et le SAV. On connait le résultat : la disparition pure et simple de l’outil industriel !
Pour ces théoriciens l’essentiel des emplois et des richesses seront produit dans le secteur immatériel de l’économie, les fameux services à haute valeur ajoutée comme la santé, l’informatique, l’éducation, les services financiers ou le commerce, voir les services à la personne…
Pour eux l’essentiel, si ce n’est la quasi-totalité, de la croissance depuis 2000 est liée à la progression des services. La preuve est que les entreprises de service sont les plus prisées sur les marchés financiers. Le bel argument irréfutable que voilà !
Pire, selon eux, il n’y aurait pas de corrélation entre le poids de l’industrie et le niveau de richesse d’un pays, d’une région. Selon eux, les régions qui se sont le plus désindustrialisées ne sont pas celles où les services ont le plus reculés.
En gros, le développement des zones commerciales, des plateformes type Amazone et autres services a largement compensé en création d’emploi et de valeurs, la désindustrialisation massive dans ces territoires.
L’observation et la comparaison des différents pays d’Europe, ou à l’échelle mondiale avec les pays émergeants, comme au niveau régional, contredisent tout ou partie de ces théories funeste.
1° les régions qui ont été frappées par la grande désindustrialisation des années 70/90, bassins miniers, sidérurgiques, mono industrie comme le textile, restent marquées non seulement par un chômage supérieur à la moyenne nationale, mais aussi par un haut niveau de précarité de l’emploi et par une baisse importante des niveaux de rémunération. Car les emplois de services qui ont partiellement compensé les pertes d’emplois industriels sont marqués par le temps partiel, la précarité, une sous qualification et une sous rémunération de l’emploi.
2° L’investissement massif dans l’industrie ne plombe pas l’économie des pays développés. Ni en termes de croissance c’est-à-dire en création de valeur, ni en termes d’emploi bien que le niveau d’emploi et la qualité des emplois restent posés, ni en termes de développement des nouvelles technologies et des services qui en découlent, c’est même le contraire.
Quelques chiffres :
La production industrielle dans la valeur ajoutée est d’après l’INSEE de 10% en France, et de 16% en moyenne dans les pays de la zone Euro. Mais ce taux de 10% est trompeur car en volume la production a doublé en trente an, elle ne baisse en France que depuis 2008.
L’investissement des entreprises industrielles en France était de 3,9% du CA en 2012 contre 5% en 2000. Alors que l’effort d’investissement dans l’outil industriel augmentait considérablement en Allemagne ou en Italie, près de 12 milliard d’euros par an entre 2000 et 2012, en France il reculait de 5 milliard par an sur la même période.
Résultat de ce désinvestissement, la France est le pays qui non seulement a le plus faible taux d’équipement dans le parc machine, mais dont le parc est le plus vieillissant ; 19 ans en moyenne en France, et 7 à 10 ans en Allemagne.
On imagine bien les conséquences en termes de pollution d’un parc machine dans un tel état….
Mais cela a des conséquences aussi en termes de productivité et surtout en capacité de Recherche et Développement….
Si certaines branches reculent (composants électriques, l’électronique, l’informatique, parfois fortement d’autres comme l’énergie, l’eau la gestion des déchets et les industries extractives progressent.
La désindustrialisation générale n’est pas induite par la baisse de la valeur ajoutée dans ce secteur, mais par un taux de profit insuffisant ce qui n’est pas la même chose ! La productivité horaire du travail dans l’industrie nous dit le contraire
Alors de quoi cette désindustrialisation massive est le fruit, si ce n’est pas de son remplacement plus ou moins rapide par un nouveau secteur (les services de la révolution informationnelle) à la productivité supérieure ?
L’industrie est en faite au cœur des contradictions du capitalisme.
Mais avant de répondre, partiellement à cette question, il est tant d’aborder l’importance de l’industrie dans la transition écologique.
Loin d’être seulement la cause première des dysfonctionnements et des dégâts causés par le capitalisme, elle en est, à la fois la victime et, pour une large partie la réponse alternative.
C’est surement au cœur des contradictions du système productiviste capitalistes que nous pourrons pointer les enjeux d’une nécessaire « ré-industrialisation » du pays.
Car la question de l’industrie émerge rapidement dés que l’on aborde un grand nombre de question que nous pose la transformation éco-socialiste de la société.
Sans ordre de priorité des enjeux nous pouvons dresser une liste non exhaustive : transition écologique, énergie, exploitation minière, place du travail, rapport Nord/Sud, partage des richesses, réponse aux besoins sociaux, services publics, santé, agriculture et alimentation, transports, etc.
Associée bien souvent, et pour cause, à des activités polluantes, énergivores, l’industrie est aussi associée au consumérisme productivisme absurde, (produire pour vendre peu importe ce que l’on produit) ….
Production chimique, pesticides, perturbateurs endocriniens, destruction d’écosystèmes, empoissonnement de l’air et de l’eau, réchauffement climatique, gaspillage des produits jetables et de l’obsolescence programmée de la marchandise, malbouffe …. Autant de manifestations avérées de l’industrie.
Si bien que dans l’opinion publique monte l’idée que l’industrie est à rejeter en tant que tel, et que l’emploi industriel ne peut être défendu à un prix écologique si élevé.
C’est bien entendu un sentiment ambigu, car dans le même temps, lorsqu’une fermeture d’usine frappe un territoire, la peur de la désertification soude les populations, l’emploi redevient vital. Mais l’emploi n’a jamais cessé d’être vital pour ceux et celles qui travaillent dans l’usine.
D’ailleurs tout au long de son histoire, avec plus ou moins d’intensité, le mouvement ouvrier oscillera entre la défense de l’usine, de l’outil de production source d’emploi, de progrès technique et social et une méfiance, voire une hostilité, à la machine, la mécanisation source d’intensification de l’exploitation et de la perte d’emploi.
L’industrie élément indispensable à la transition écologique !
Les premiers éléments nécessaires à toute production matérielle sont l’énergie et la matière 1ère.
Sortir de l’énergie fossile et nucléaire est une évidence pour nous et la réponse est dans la production d’énergies renouvelables, d’autres modes de production etc. l’industrie est l’outil indispensable.
Pour la matière 1ère, l’industrie extractive est extrêmement plus problématique, polluante et grande consommatrice d’eau, elle nécessitera des innovations importantes pour réduire à l’extrême son impact environnemental : Recherche et Développement donc industrie là encore.
Bien entendu la lutte contre les gaspillages du mode de production capitalisme est de toute première nécessité ; recyclage des déchets, rupture avec l’obsolescence programmée de la marchandise, le jetable. Là aussi RD et industrie, surtout pour la création et l’organisation de l’économie circulaire et de la revalorisation des déchets la RD et l’industrie sont la réponse. Changer le parc machine et l’ensemble de l’outil de production, pour consommer moins d’énergie, produire moins ou pas de déchets.
Dans les transports il faut sortir du moteur à explosion à base de pétrole et du moteur électrique ne produisant pas lui-même tout ou partie de son énergie si non les énergies fossiles et le nucléaire resteront prédominant, ou en tout cas très présent, là aussi RD et industrie….
Il apparait donc bien que la place d’une industrie répondant aux besoins sociaux et aux nécessités écologiques soit centrale.
Ce constat n’invalide pas une grande partie des pistes de réflexions sur une décroissance partielle, pour ma part j’opte plutôt pour l’idée d’une sobriété durable et soutenable.
En tout cas on perçoit aisément que la réponse aux besoins sociaux et environnementaux impose une rupture avec la logique d’accumulation de la valeur du productivisme capitalisme. Et qu’en même temps, ce n’est pas l’industrie est tant que telle qui est à combattre, même s’il est évident que l’outil industriel est à restructurer en profondeur !
Beaucoup de ces points sont exprimés clairement ou sont sous-jacents dans la planification écologique et le programme de la France Insoumise. Mais je tiens à préciser ici que dans cette réflexion la question de l’industrie d’armement et du nucléaire militaire ainsi que la culture de prédation que cette industrie induit doivent prendre une place prépondérante. Il Y a là une divergence politique importante, fondamentale même avec la campagne de JLM et la FI.
Cela ne rend pas incompatible le soutien critique, au contraire ça l’impose !
La financiarisation de l’Industrie, le coût du capital !
Alors avant de conclure il convient de dire de quoi la désindustrialisation est le fruit.
Comme les services publics, l’industrie est victime d’absence de politiques publiques qui prend en compte les enjeux exposés ici et le long terme. Mais cette désindustrialisation est surtout le fruit du poids de la financiarisation, du coût du capital comme le dit la CGT.
Le caractère parasitaire du capital se traduit concrètement ; d’une part, par une recherche effrénée à la baisse des coûts de production, notamment du cout du travail, par une mise en concurrence des salariats et des systèmes de protection sociale (c’est à dire de la valeur ajoutée socialisée) à l’échelle internationale.
Ensuite par des conséquences écologiques potentiellement cataclysmiques, résultat de la logique d’externalisation des couts « non » productif.
Et pour finir, par un désinvestissement massif dans l’industrie au profit de la rétribution du capital.
Y a 30 ans les dividendes versés aux actionnaires de l’industrie représentaient à peine 5% de la VA produite dans les entreprises industrielles, aujourd’hui c’est 25% en moyenne de la VA qui est distribué aux actionnaires.
L’impacte sur l’investissement est immédiat. Dans les années 85/87 lorsque l’industrie investissait 1euro, elle distribuait 0,5 euros en dividende, aujourd’hui le rapport est pour 2 euros de dividendes 1 euro d’investissement.
A cette inversion de logique qui est une question de rapport de force sociale et politique, s’ajoute les politiques publiques de financement du capital en lieu et place de politique industrielle.
Prenons le CICE : 20 milliards par an d’après le gouvernement Valls en 2014, soit 6% de la masse salariale. Il faut ajouter 172 milliards d’aides diverses aux entreprises chiffrées par le rapport 2015 de la cour des Comptes soit à peu près 8% du PIB. Ces 8% c’est le basculement dans la répartition du PIB entre revenus du travail et revenu du Capital qui s’est instauré après le tournant de la rigueur, 1ères politiques d’austérité, du gouvernement d’union de la gauche (PS PCF) des années 82/84. Chaque année depuis 35 ans ces 8% nous sont volés pour financer la rente du capital.
La désindustrialisation c’est aussi des pertes de compétences, des pertes de savoir faire, des pertes de capacité d’innovation et de capacité de RD, autant d’éléments indispensables à la transition écologique. Cela obère très sérieusement nos capacités futures de construire un outil de production écologiquement soutenable, surtout que le temps nous est surement sérieusement compté !
Pour conclure, cette transition impose de reconquérir l’industrie sur la finance et sur les logiques productivistes. Cela nécessite bien entendu des politiques publiques mais aussi de redonner une place centrale au travail, au salaire, à la protection sociale, mais aussi et surtout, aux contenus et au sens du travail, c’est à dire de la production.
Et là rien ou pas grand-chose, ne sera possible, y compris une planification écologique, sans que les premiers concernés, les salariés, les producteurs, n’aient le pouvoir dans les entreprises.
On ne peut douter que le pouvoir dans l’entreprise pose la question de la nature sociale de la propriété de l’outil de production. Comme on devine aisément que la réponse ne se trouvera pas dans une quelconque forme d’étatisation, plus ou moins autoritaire. Sous peine de nous condamner à l’impasse d’une société de contrainte et de coercition sous la férule d’un Etat fort il nous faudra creuser cette question du pouvoir des salariés/producteurs dans l’entreprise. Mais ce sujet nécessiterait, à lui seul, un développement plus important.
La question de l’emploi est, elle aussi, percutée par la question de l’industrie. L’emploi dans les reconversions industrielles indispensables ; dans la transition énergétique, en sont des exemples.
Souvent nous n’entrevoyons la réponse aux besoins sociaux et les créations d’emplois que dans les services, voir que les services publics. C’est une erreur, l’emploi industriel doit répondre lui aussi aux besoins sociaux et il a une force propulsive en termes de création d’emplois induits, d’un niveau de rémunération et de protection collective bien supérieur aux emplois de services du secteur marchand. Cette question de l’emploi est fondamentale pour que les producteurs soient acteurs de la transition écologique.
Alex Legros
Militant CGT UD72