Encore sur le livre Syndicalisme : cinq défis à relever, unissons-nous!

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Nous avions commenté le livre coordonné par Jean-Claude Branchereau et Patrick Brody : Syndicalisme, cinq défis à relever Unissons-nous! Nous publions ici le commentaire de Didier Epsztajn, paru sur le blog : entreleslignesentrelesmots.wordpress.com

 

 

 

Le syndicalisme n’a pas à s’auto-limiter dans son projet

couvCet ouvrage collectif, coordonné par Jean-Claude Branchereau et Patrick Brody, avec la participation de Michel Angot, Gérard Billon, Alain Bonnet, Antoine Cathelineau, Gilles Desseigne, Elisabeth Labaye, Hervé le Fiblec, Thomas Petit, Jean-Marie Roux. Joel Le Coq, Pierre Héritier, Gérard Aschieri, Christophe Delecourt, Jean Dunois est divisé en deux parties. La première est consacrée aux « Cinq défis à relever » : revendicatif, unité, démocratie, indépendance, avenir ; la seconde regroupant des contributions plus individuelles.

J’indique que manque, à ce collectif, des syndicalistes de Solidaires et de Force Ouvrière et qu’une seule femme y contribue. Ces deux éléments expliquent probablement, en partie, des « creux » dans les analyses.

Le syndicalisme est un outil d’organisation permanent de toutes et tous les salarié-e-s. Il « répond » à la situation de subordination engendré dans/par le rapport salarial. J’indique, sans m’y étendre, que les formes de ce rapport salarial de même que celles empruntées par le syndicalisme ne sauraient être abordées hors de la construction des institutions étatiques, du marché du travail, des protections de « la liberté d’entreprise » et des droits obtenus par les luttes sociales et politiques..

Par ailleurs, le rapport salarial ne peut être approché hors de l’analyse de l’ensemble des rapports sociaux dans et hors du travail salarié (rapports sociaux de genre, travail domestique assigné aux unes, racialisation et stigmatisation des un-e-s et invisibilisation des pratiques des communautés majoritaires des autres, préférence nationale dominante dans la fonction publique, etc.)…

Qui dit rapport salarial dit aussi travail. Le travail concret et le travail comme rapport social. Et quitte à me répéter, sauf à négliger les conditions réelles des femmes, le travail salarié ne peut-être abordé en abstraction du travail domestique (Voir, par exemple Danielle Kergoat : Se battre disent-elles…, Travailleuse n’est pas le féminin de travailleur).

La même démarche s’impose pour les travailleurs et les travailleuses « immigré-e-s ». Les dimensions de stigmatisation/domination en tant immigré-e-s (ou considéré-e-s en tant que tel-les) ne sont pas neutres dans le rapport salarial. La situation est encore plus « tendue » pour les travailleurs et travailleuses sans-papier-e-s.

Plus généralement le travail doit être questionné, non seulement dans son organisation, mais aussi dans ses dimensions d’exploitation et de libération, « Travailler la question du travail » comme l’écrit un des contributeurs.

J’en reviens aux deux termes : la « permanence » de l’organisation des salarié-e-s, au delà des temporalités d’engagement individuel, des actions ou des situations ; la « totalité » car la fonction même du syndicalisme est de « représenter »/organiser l’ensemble des salarié-e-s. Ou, pour le dire autrement, le syndicalisme est une des formes d’auto-organisation des salarié-es pour défendre leurs intérêts individuels et collectifs et pour modifier le rapport salarial lui-même. Le syndicalisme pour faire sens doit donc entreprendre le présent et le futur, poser les questions de l’émancipation, des émancipations, « une vocation de transformation sociale et de défense quotidienne des salarié·». Ce qui implique, entre autres, de débattre et d’agir, au présent, dans le domaine de l’appropriation sociale.

Je n’aborde que certains points du livre.

La conception de la finance développée par les auteur-e-s sous-estime la fonctionnalité de celle-ci dans la valorisation et l’accumulation du capital (Voir par exemple, sur ce sujet : Michel Husson : Un pur capitalisme, la-crise-est-certaine-mais-la-catastrophe-ne-lest-pas/). La « financiarisation néolibérale » est une forme historique du mode de production capitaliste. Cela n’enlève rien à la nécessité que les actionnaires doivent rendre compte « Les détenteurs de capitaux doivent avoir, pour le moins, des obligations vis-à-vis des entreprises et groupes industriels ». Ni au fait que l’organisation des groupes implique de « développer des stratégies syndicales de groupes », groupe pris au sens le plus large, incluant les chaines de sous-traitants ou les organisations commerciales.

Les auteur-e-s soulignent la chaine « revendiquer, résister, proposer, agir, négocier », discutent de la place des revendications, de l’existence de compromis, des pratiques syndicales, « faire confiance aux salarié·s qui sont les experts de leur travail ».

Elle et ils développent sur l’unité nécessaire du mouvement syndical. Unité qui ne saurait se limiter à la conjonction de forces syndicales, divisées organiquement, ni à au mouvement syndical au sens strict, « Ainsi, construire des collectifs dans un cadre local, d’entreprise, sectoriel ou national intégrant syndicats et associations peut permettre de faire avancer des objectifs concrets locaux ou nationaux, accessibles à la compréhension du plus grand nombre. C’est un moyen de construire l’unité ». Construire l’unité en permanence nécessite à la fois de prendre en compte les divisons sociales et les dominations internes au salariat (voir plus haut), les orientations divergentes (la démocratie relève de la dispute et non du consensus), les temporalités en tension et les intérêts matériels contradictoires… Les exemples de Clip P dans le commerce, du collectif pour un pôle financier public, du collectif « pas de bébé à la consigne » sont révélateurs des possibles unitaires.

Unifier exige aussi de définir des formes d’organisation adéquates, un fédéralisme rénové et raisonnable (j’y reviendrai).

La question de la démocratie « ouvrière » et syndicale est donc centrale tant dans la « reconstruction du mouvement syndical » que dans son unification, que dans la capacité de mobilisation des salarié-e-s. Il convient donc de traiter cette double dimension de la démocratie.

Pour ce qu’il en est de la démocratie syndicale dont parlent les auteur-e-s, « La démocratie syndicale doit donner le pouvoir à un collectif dans lequel chacun·e exerce de façon éclairée son pouvoir d’appréciation et de décision », elle ne peut qu’être organisée, en garantissant à chaque collectif son « pouvoir d’appréciation et de décision », Ce qui pose le problème d’un fédéralisme rénové et raisonnable qui ne saurait être limité par la phrase très discutable « de discipline dans l’application des décisions ». Ce nouveau fédéralisme à construire ne résoudra pas toutes les tensions et les contradictions générées par les rapports sociaux, mais peut-être un gage de processus de démocratisation des décisions et des actions…

Et démocratie « ouvrière » car « les salarié·es se prononcent en dernier lieu ».

Se pose la question des formes d’organisations syndicales adéquates tant à cette dimension qu’aux cadres imposés par la structuration réelle du pouvoir dans les entreprises. Je rappelle que le mouvement syndical reste structuré en syndicat de métier, en syndicat d’entreprise, en syndicat de site, etc. Des débats incontournables…

Les auteur-e-s parlent de « subordination au politique, à l’Etat, à une Eglise », de « garder la maîtrise de sa réflexion et de son action ». Curieusement l’indépendance par rapport au patronat, à l’organisation des entreprises n’est pas soulevé, ni celui du patriotisme d’entreprise, ni celui de la préférence nationale (comme dans la fonction publique), ni de l’alignement de certain-e-s avec leur patronat dans la concurrence inter-entreprise… Comme écrit dans une contribution de la seconde partie du livre « C’est l’esprit initial du syndicalisme qui voulait qu’un syndicat défende tous les travailleurs et pas seulement ceux d’une entreprise ou d’un pays ».

Syndicalisme et politique, Charte d’Amiens, les débats méritent d’être approfondis. Si les retours sur l’histoire sont nécessaires, des apports du syndicalisme révolutionnaire, du mouvement féministe ou de l’histoire anti-coloniale méritent d’être pris en compte.

La première partie se termine sur les dimensions européennes.

Des contributions pour des débats à approfondir.

Lire une autre approche sur ce livre : Dominique Mezzi : http://syndicollectif.wordpress.com/2014/11/30/syndicalisme-debattons-cest-urgent/

En complément possible :

Les cahiers de l’émancipation. Dominique Mezzi (coordination) : Nouveau siècle – Nouveau syndicalisme, ne-pas-tracer-de-limites-a-priori-a-laction-syndicale/

Annick Coupé : Déclin du syndicalisme, impuissance des partis politiques et montée des populismes : quel débouché politique pour la contestation sociale ?, declin-du-syndicalisme-impuissance-des-partis-politiques-et-montee-des-populismes-quel-debouche-politique-pour-la-contestation-sociale/

Hélène Adam et Louis-Marie Barnier : La santé n’a pas de prix. Voyage au cœur des Comités Hygiène Sécurité et Conditions de Travail, retrouver-les-chemins-de-la-remise-en-cause-de-la-societe-entiere/

Travail, genre et sociétés : Genre, féminisme et syndicalisme, mettre-en-place-des-processus-sociaux-continus-pour-construire-legalite-entre-femmes-et-hommes/

David Camfield : La crise du syndicalisme au Canada et au Québec. Réinventer le mouvement ouvrier, laction-collective-donne-aux-salariees-la-perception-de-leur-pouvoir/

Fondation Copernic : Répression et discriminations syndicales, bien-que-legitime-par-le-droit-le-fait-syndical-est-remis-en-cause-dans-les-pratiques-et-devalorise-dans-les-discours/

Jean-Claude Branchereau, Patrick Brody (coord.) : 21e siècle. Syndicalisme : cinq défis à relever

Unissons-nous !

Editions Syllepse, Paris 2014, 140 pages, 10 euros

Didier Epsztajn

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