Le numéro 4 des Utopiques, Cahier de réflexions, publié par l’Union syndicale Solidaires, vient de sortir. Il contient un important dossier sur l’unité syndicale et ouvre même le débat sur la question de l’unification.
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- Sommaire :
5 ÉDITO
6 ÉCLAIRER LA POLITIQUE ANTISOCIALE DU FN, POUR MIEUX COMBATTRE L’EXTRÊME-DROITE
2 1 DOSSIER « UNITÉ SYNDICALE »
82 LE SEXE DU CERVEAU : AU-DELÀ DES PRÉJUGÉS
84 LA VIOLENCE STRUCTURELLE DU TRAVAIL ET LA VIOLENCE CONTRE L’AUTOGESTION DES TRAVAILLEURS
98 UBER POUR LES ENFANTS DE PROLOS,
LES GRANDES ÉCOLES POUR LES MÔMES DE LA BOURGEOISIE
106 L’INTERPROFESSIONNELLE À PROXIMITÉ : DE L’HISTOIRE DE LA CONSTRUCTION DES UNIONS INTERPROFESSIONNELLES LOCALES (UIL) DANS LE PAS-DE-CALAIS
116 L’INTERPROFESSIONNELLE À PROXIMITÉ : DÉVELOPPEMENT ET PLACE DES UNIONS LOCALES DANS SOLIDAIRES À PARTIR DE L’EXEMPLE DE SAINT-DENIS
126 RECOURIR AUX TRIBUNAUX POUR S’ATTAQUER AUX SYNDICATS, C’EST CRITIQUABLE. UTILISER N’IMPORTE QUEL ARGUMENT, C’EST DANGEREUX !
1 3 2 L’ARMÉE FRANÇAISE EN AFRIQUE
1 4 0 SOMMAIRES DES NUMÉROS 1, 2, 3 DES CAHIERS LES UTOPIQUES ET ABONNEMENT
- Notre article pour prolonger le débat
C’est peut-être la première fois que des responsables nationaux de Solidaires ouvrent un débat public, pas seulement sur l’unité, mais sur l’unification syndicale, sujet devenu tabou, ou alors un motif de plaisanteries. L’unité syndicale fait partie de l’ADN de Solidaires, il n’y a aucun doute à ce sujet. Mais l’unification ?
Le dossier « unité syndicale » de ce numéro des Utopiques s’ouvre sur un article signé Théo Roumier (SUD Education) et Christian Mahieux (SUD Rail), intitulé : « Invoquer l’unité, oui ! La faire c’est mieux ». Cet article ouvre en conclusion le débat évoqué ci-dessus et je vais y revenir. Il est complété par d’autres articles et par des documents extrêmement utiles à faire connaître, parce qu’ils constituent maintenant un patrimoine historique commun pour celles et ceux qui ont connu ou veulent connaître l’histoire du syndicalisme de lutte depuis mai 1968.
Volumineux dossier sur l’unité
Théo Roumier revient d’abord sur l’histoire, décisive pour l’irruption gréviste de mai 1968, des trois accords d’unité syndicale entre la CGT et la CFDT de 1966 à 1979. Cette histoire croise l’époque « lutte de classe » de la CFDT et celle du Programme commun de la gauche où le syndicalisme s’est très considérablement impliqué. L’article évoque aussi les débats de la CGT et en particulier le fameux congrès de 1978 où Georges Séguy propose un pacte d’unité syndicale renforcé. On connait la suite…
Suivent ensuite des documents à lire ou relire : des extraits d’interview de Fredo Krumnow, porte-parole du « courant gauche » de la CFDT post-68 : il évoque la question de la démocratie syndicale, et aussi le rapport aux « politiques ». Michel Desmars, ancien secrétaire national de la branche cheminot CFDT, décrit ensuite les différents outils d’expression dont s’est dotée le courant d’opposition au recentrage de la CFDT, et surtout la création de la revue intersyndicale « Collectif » (sous-titrée : « mouvement syndical et stratégie sociale ») à partir de 1987 jusqu’à décembre 1995 (rappelons que ce blog syndicollectif.fr se veut un clin d’œil avec cette expérience !). Participaient à Collectif des responsables CFDT bien sûr (ils en furent l’ossature) mais aussi CGT et FEN, ainsi que des chercheurs, des militants associatifs. C’est grâce à ce collectif militant que les mouvements de chômeurs, ainsi que la bataille pour la réduction du temps de travail (RTT), se sont ravivés dans les années 1990, notamment avec la marche nationale de mai 1994 (30 000 à Paris) et la création d’Agir ensemble contre le chômage (AC !).
On relira aussi avec profit l’article que Maryse Dumas avait écrit pour la revue Contretemps, afin d’évoquer les 120 ans de la CGT (en 2015) et aller plus loin : parler de l’histoire « pour penser l’avenir ». Elle y traite longuement de la question de l’unité, qui fut « transversale à toute l’ histoire » de la CGT, du débat « réforme/révolution », et du difficile « rapport au politique ». La notion très controversée de « syndicalisme rassemblé » (née juste avant 1995) est ensuite critiquée dans un article (peu convaincant par son angle d’argumentation) écrit par Jean-Yves Lesage (syndicat du livre CGT). On découvrira un article passionnant (Willi Hajek, du réseau militant TIE pour Transnationals Information Exchange) sur l’histoire mouvementée du syndicalisme allemand depuis les années 1920, alertant sur une vision parfois idéalisée du syndicalisme « unique ». Le dossier se termine par un bref bilan de l’intersyndicale CGT, FSU, Solidaires qui organise chaque année depuis 20 ans des Journées intersyndicales femmes, avec des débats et des croisements d’expériences.
Unité : la faire !
L’article-cadre de Théo Roumier et de Christian Mahieux s’étend d’abord longuement sur les conditions et les difficultés de l’unité syndicale. Certaines remarques ou propositions sont totalement pertinentes, d’autres plus discutables. Toutes mes remarques ci-dessous sont des incitations à débattre, à la place où je me situe (aujourd’hui observateur surtout) et dans une logique partagée avec les auteurs quand ils se refusent à donner des « leçons ». D’autant qu’ils sont acteurs dans ce débat.
Il semble juste par exemple, malgré les polémiques que cela a pu produire, de constater que la déclaration commune intersyndicale de février 2016 sur la loi Travail, très large (elle incluait la CFDT et l’UNSA) a eu un effet positif pour « faciliter des appels communs bien plus offensifs », par la suite. Mais dans cette logique, il semble alors parfaitement compréhensible que pour le 9 mars 2016, à la SNCF, l’unité syndicale incluant la CFDT et l’UNSA ait été un facteur important pour atteindre des taux de grève très élevés ce jour-là (50%), jouant un rôle dans la dynamique de l’action durable, et posant donc un problème compliqué dans la gestion de l’unité. Problème que la direction CGT cheminot a pu utiliser ensuite comme argument pour bien séparer la lutte spécifique SNCF et celle contre la loi Travail…
Il est parfaitement juste aussi de noter que les confédérations syndicales ne sont nullement un « tout » homogène, marchant au pas. Ce n’est nullement le cas pour la CGT, qui, comme le décrivent les auteurs, a conduit localement la lutte pour les SCOP à Fralib et Pilpa, sans se dire pour autant très « autogestionnaire », comme Solidaires. Combien de fois entend-on des syndicalistes (Solidaires ou FSU) expliquer que la CGT fait ceci ou pense cela, alors qu’il ne s’agit que de fédérations ou même parfois de syndicats. On a trop souvent le réflexe d’attribuer à toute la CGT des attitudes particulières, en pensant implicitement que toute la CGT obéit à un schéma centralisé !
Mais l’originalité de l’article des camarades tient à l’ouverture du débat sur l’hypothèse et les conditions d’une unification possible.
Unification : à quelles conditions ?
Les deux auteurs prennent d’abord la précaution de tracer un périmètre à cette hypothèse d’unification : le syndicalisme de transformation sociale, ou celui qui se réfère à la fameuse « double besogne » de la Charte d’Amiens : « l’amélioration immédiate » d’une part et « l’émancipation intégrale » (c’est-à-dire anticapitaliste) de l’autre. Les auteurs précisent ensuite que les équipes syndicales qui se situent dans cette perspective ne sont pas qu’à Solidaires, mais aussi à la CGT, la CNT-SO, FO, FSU, LAB, STC, plus « quelques structures UNSA et CFDT ». J’en suis bien d’accord.
Le problème est cependant plus complexe, car nous heurtons à une certaine contradiction. Il convient d’abord de noter que si le projet est bien l’émancipation intégrale, et donc la lutte pour une autre société, alors cela doit concerner et impliquer réellement la grande majorité du salariat. Et pas seulement les plus conscients ou les déjà convaincus. Si la CFDT devenait réellement la première organisation représentative en avril 2017, quelles que soient les turpitudes des systèmes de calculs issus de la loi de 2008, cela doit nous faire réfléchir : comment atteindre les salariés qui se reconnaissent dans la CFDT (ou d’autres autour d’elle) ? Théo Roumier et Christian Mayeux répondent bien sûr par l’unité ponctuelle, comme celle de février 2016, en ajoutant la condition qu’elle soit une vraie unité d’action, et pas de déclaration. Mais quelquefois, la déclaration précède l’action, même si ce n’est pas automatique. Par exemple en 2003, où existait une plate-forme unitaire sur les retraites depuis janvier, ce qui bien sûr n’a pas empêché la direction CFDT de trahir le 15 mai 2003, après la grande journée du 10 mai.
La question qui se pose, et qui était posée dans les petits bouquins fondateurs de ce blog (article de Joel Lecoq, militant CFDT, dans Nouveau siècle, Nouveau syndicalisme-Syllepse, 2013), est donc de se doter d’une démarche qui pose de manière permanente la nécessité de s’adresser à tout le salariat, et à tous les salarié-es, y compris ceux et celles influencé-es par la CFDT (ou d’autres). Joel Lecoq faisait la proposition d’un Collectif national d’échanges et d’unité d’action entre toutes les organisations, permettant au moins de poser les débats contradictoires devant tout le monde. Bien sûr, il ne suffit pas de le dire, mais au moins cela trace une orientation durable vers une perspective qui englobe la majorité du salariat.
Mais cette proposition n’enlève rien à la nécessité d’aller beaucoup plus loin avec les organisations qui partagent d’ores et déjà des perspectives communes bien plus fortes, et se retrouvent très souvent dans l’action, malgré des histoires et cultures différentes. Et là, on ne peut qu’être d’accord avec les propositions des deux auteurs. Cela fait longtemps que la nécessité d’un rapprochement plus structuré entre Solidaires, la CGT, la FSU, se pose. Aujourd’hui, après l’expérience de l’intersyndicale de 2016 incluant aussi FO et les organisations de jeunesse, la question prend plus d’ampleur encore. Rien de plus normal et sain que des syndicats qui se sont mobilisés durablement sur un sujet central veuille prolonger l’expérience par un débat de rapprochement. Et l’article a raison de critiquer des réflexes d’auto-préservation (par exemple ne pas reconduire l’intersyndicale à l’automne 2016 au nom des élections TPE qui approchaient) pour privilégier un « aggiornamento stratégique dans un grand nombre de structures syndicales ».
Quant à la méthode, comme le dit l’article, il ne s’agit en aucun cas de demander aux plus petits d’adhérer au plus grand, ce qui est impensable et aboutirait à l’échec. Il s’agit bien d’une transformation réciproque, et donc du « dépassement de chacune des organisations », condition posée par les auteurs.
La CGT a certes fêté ses 120 ans. La démarche visant de 1895 à 1902 à confédérer les Bourses du travail et les Fédérations professionnelles a été difficile, voire douloureuse. Il a fallu passer outre les routines, les habitudes, les susceptibilités. 120 ans après, le paysage du salariat est totalement bouleversé sur le plan culturel, sur le plan des métiers, sur le plan du droit, sur le plan international. D’autres traditions se côtoient, des collectifs de luttes, des associations. Mais le nombre de syndiqués n’augmente pas. Si le syndicalisme, confronté à des défis gigantesques, se contente de gérer ses situations acquises, tout en améliorant ce qui peut l’être avec de efforts parfois considérables et admirables, il sera de plus en plus menacé de rétrécissement de son champ d’influence profonde. Même s’il est encore capable de fédérer de grandes luttes, comme au printemps 2016.
Un immense espoir accompagnerait la perspective d’une nouvelle union interprofessionnelle démocratique et solidaire ou une nouvelle confédération unitaire du travail, en adéquation avec les attentes de la jeunesse d’aujourd’hui. Il est temps d’au moins ouvrir le débat. Comme le font les Utopiques, si on a bien compris.
Jean-Claude Mamet, le 23 mars 2017.