L’Union des retraité-es de Solidaires et le conflit de 2023 (4)

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L’Union nationale interprofessionnelle des retraité-es de Solidaires (UNIRS) a produit un bilan (c’est le 4ème document en ce sens) du conflit des retraites et de l’action du syndicalisme. Le texte s’efforce de mettre en débat plusieurs éléments d’explications sur les raisons de la défaite.

 

Paris, le 28 septembre 2023

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Analyse du conflit « retraites » du premier semestre 2023

 

Le C.A. de l’UNIRS du 14 septembre 2023 a débattu du conflit social et syndical mené au cours du premier semestre 2023 en tentative de réponse à la nouvelle attaque menée par le gouvernement contre notre système de retraite. Le texte ci-dessous est la synthèse d’un texte initial destiné à ouvrir les débats du 14 septembre, des échanges lors du C.A. puis des compléments apportés par des camarades du C.A. Il est retenu pour être la contribution de l’UNIRS aux débats du C.N. de Solidaires du 3 octobre 2023 consacré au bilan du conflit.

I   – Une nouvelle attaque gouvernementale.

C’était une nouvelle attaque contre la Sécurité sociale. Nous savions déjà que les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de remettre en cause, à chaque opportunité qui se présentait pour eux, le compromis social de 1944 / 1945. Ce compromis social, fruit principalement des rapports de forces nés durant la Résistance et à la Libération, portait sur la création d’une sécurité sociale, un droit du travail protecteur, des services publics, et une fiscalité relativement redistributive. Cette fois, il s’est agi d’une nouvelle attaque contre le système des retraites. Ce même Président de la République avait déjà attaqué le système de retraites avec un projet présenté comme un régime de

« retraite universelle » par une « retraite à points ». Cette attaque avait provoqué un fort mouvement social en 2019 qui n’avait pour autant pas permis le retrait du projet. Le texte avait été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en mars 2020. Avec l’arrivée de la crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus, le gouvernement a décidé de suspendre temporairement l’application de la loi votée. Cette suspension unilatérale pendant la crise sanitaire est probablement liée à la crainte du gouvernement d’avoir des mouvements sociaux dans les métiers indispensables, souvent ceux qui sont attaqués et qui connaissent des conditions d’emploi et de travail particulièrement pénibles et difficiles, ceux que la bourgeoisie invitait à applaudir chaque soir et sur lesquels elle cogne de nouveau.

Là, Macron a fermé la parenthèse « retraite universelle », qui n’était pas une demande du MEDEF, pour revenir à une réforme « classique » : faire travailler plus longtemps celles et ceux qui ont un emploi, en reculant l’âge de départ en retraite (de 62 à 64 ans) et en augmentant le nombre d’années de cotisations pour avoir droit à une retraite à taux plein (43 ans). Dans le même temps, en maintenant en emploi celles et ceux qui ont un emploi, une telle réforme augmente le nombre de chômeuses et de chômeurs (notamment tous les jeunes qui attendent que des emplois occupés par

 

des seniors, usés et fatigués, se libèrent). Ceci accroît la concurrence sur le « marché de l’emploi » et favorise le capital dans son rapport de forces avec les salariés potentiels en recherche d’un emploi. Cela a aussi pour effet d’augmenter la précarité de celles et ceux qui n’ont plus d’emploi et qui ne peuvent plus liquider leurs pensions avec, en corolaire, une augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA.

 

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II    – Une riposte syndicale unitaire.

L’unité syndicale restera l’élément marquant de ce conflit. Il n’y avait pas eu d’unité syndicale en 2019. Nous avons eu l’unité de toutes les organisations syndicales lors de conflits plus anciens et plus ou moins identiques, mais une unité brisée dès que le gouvernement concédait la moindre mesure. Cette fois, la CFDT était engagée dès le 1er jour, tenue par un vote de son dernier congrès, puis maintenue dans l’opposition au projet du gouvernement du fait d’un pouvoir refusant le moindre aménagement qui aurait permis à quelque organisation syndicale que ce soit d’expliquer sa suspension du conflit.

L’unité des huit organisations syndicales a été un élément important de mobilisation pour les manifestations et pour gagner la « bataille de l’opinion publique ». Cette bataille de l’opinion publique gagnée est aussi le résultat des comportements de ceux d’en face : Macron se présentant tout d’abord avec des arguments qu’il critiquait en 2019 avec sa retraite à points, le gouvernement se plantant plusieurs fois dans ses explications, multipliant les contradictions, etc. Le « top » a certainement été atteint lors de la phase du minimum de retraite à 1 200 euros, où des personnes ont cru au départ que le minimum vieillesse allait passer à 1 200 euros, puis, après explications compliquées de Dussopt, il y avait encore 2 millions de personnes concernées, pour finir à environ

10   000   personnes   chaque   année.   Tous   ces   bricolages   du   gouvernement   ont   crédibilisé

« l’intersyndicale », une grande partie de l’opinion publique attendant les décisions qu’elle allait prendre le soir des fortes journées de manifestation. Pendant cette période, les syndicats sont plus ou moins devenus le porte-parole d’un monde du travail de moins en moins représenté en politique. Pendant le même temps, les forces affichées d’opposition politique étaient divisées (une partie de la droite, l’extrême droite, et les partis de gauche) et les « forces de gauche » n’avaient pas toutes la même attitude. Globalement, la période a confirmé que, lorsque le mouvement syndical et social est fort, le « débouché politique », c’est finalement les forces sociales qui l’ont dans les mains : à gauche, celles et ceux qui voulaient être dans le coup, en gros, couraient derrière le mouvement lui-même, reprenant les mots d’ordre et le calendrier des mobilisations. Nous étions loin de la période « Gilets jaunes » où il semblait que le mouvement syndical perdait pied. C’est bien que le travail est toujours un élément clé dans notre société.

C’est cette unité syndicale qui a permis les très nombreuses et très fournies manifestations, dans les grandes villes, mais aussi dans des petites villes, dans des cantons, etc. Mais ceci n’a pas été suffisant pour modifier les décisions du gouvernement. Nous avons vu ce que nous voyons souvent à la télévision, et que les commentateurs commentent comme étant la marque de gouvernements autoritaires, voire plus, à savoir un gouvernement qui gouverne contre son opinion publique, contre son peuple. Lors de la plupart des manifestations, le gouvernement a eu quelques difficultés pour faire passer l’image de manifestant casseurs, du fait de « la bonne tenue » de la plupart des manifestations. C’est aussi le nombre relativement réduit d’incidents qui a conduit des manifestantes et des manifestants à revenir aux manifestations suivantes. Mais le gouvernement a toujours attendu que « ça passe ». Jamais les salariés n’ont été en capacité de « mettre la France à l’arrêt dans tous les secteurs le 7 mars prochain » comme le préconisait l’intersyndicale dès le 12 février. Nous savons que pour faire reculer le capitalisme, il faut l’atteindre là où il exploite, là où il tire ses profits, sur les lieux de production. Nous savons que la grève générale reconductible est

 

notre arme la plus fiable et nous savons aussi qu’elle ne se décrète pas d’en haut avec une « base » qui n’attendrait que le coup de sifflet pour partir. Le mouvement ouvrier n’a pas été en mesure, à ce stade, d’utiliser cet outil, même dans les secteurs où les organisations syndicales qui se disent et s’affichent les plus déterminées et les plus combatives (notamment Solidaires, comme nous aimons à le croire) sont relativement bien implantées. Des équipes syndicales ont plus que fait le travail, ont plus que mené la bataille et mobilisé très concrètement, et ce sont elles qui ont inquiété à un moment le patronat, le gouvernement, leurs médias et leurs experts économistes et politiques. Mais ceci est resté minoritaire. L’exemple qu’il faut retenir, c’est celui donné par celles et ceux qui ont diffusé des tracts dans les entreprises et dans les lieux de passage, qui ont organisé des assemblées générales, qui ont occupé des ronds-points, des péages d’autoroutes, des entrées de zones industrielles, des entrées d’usines, etc. Pour faire tout ça, l’unité des 8 organisations était un outil supplémentaire : même si, localement, toutes les équipes syndicales n’étaient pas présentes ni représentées, celles qui voulaient agir pouvaient le faire, en plus avec la « couverture » de l’appel national, et donc un accueil plutôt favorable des personnels (selon les « sondages », plus de 70 % de l’opinion publique était contre la réforme).

Jamais le gouvernement n’a semblé réellement en difficultés, sauf peut-être le jeudi 16 mars, au moment du recours au 49.3 qui a fait sortir des jeunes dans la rue, qui a conduit à des rassemblements « spontanés » Place de la Concorde à Paris et dans quelques grandes villes. Pendant quelques jours, l’ambiance a changé, avec les manifestations syndicales « classiques » dans la journée, puis des initiatives plus décentralisées et éclatées dans la soirée, qui mettaient dans l’embarras les forces de police. Mais cette période n’a pas duré, et elle n’a pas entraîné de durcissement des grèves dans les entreprises.

III   – Quelles explications à ce nouvel échec ?

  • Les insuffisances et les limites de l’intersyndicale ? Lors de précédents conflits, parmi celles et ceux qui étaient dans l’action il était parfois possible de croire trouver une explication à l’échec : l’absence, la désertion, la trahison d’autres organisations syndicales (c’était souvent la CFDT qui était citée). En 2023, la situation a été différente. L’intersyndicale ouvrière a été totale, dès le début, et jusqu’à ce qu’il faut bien appeler la fin, malgré nos cris selon lesquels « on ne lâchait rien » et « qu’on ne tournerait pas la page ». L’intersyndicale a été entière, CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, UNSA, Solidaires, CFTC, FSU et les organisations étudiantes. Il est alors parfois reproché à l’intersyndicale de n’avoir pas été assez volontariste, que les organisations les plus combatives ont baissé pavillon face aux organisations « réformistes » pour sauver une unité de façade qui ne conduisait pas à la grève générale reconductible. Pour éviter de se voir comme nous sommes, avec nos insuffisances et nos contradictions individuelles et collectives, il est plus facile de se trouver ensemble des boucs émissaires : les L’appel du 12 février ressemblait bien à un appel à la grève, et au lendemain du 7 mars, l’intersyndicale déclarait qu’elle « soutient et encourage tous les secteurs professionnels à poursuivre et amplifier le mouvement ». Pour celles et ceux qui ont besoin d’ordres, c’était dit, il fallait faire. Ça a été fait, par endroits, dans certains secteurs plus que dans d’autres, mais insuffisamment. Et il reste surprenant d’entendre des camarades qui mettent en avant la primauté de la base, qui dénoncent aisément les appareils, dont les bureaucraties syndicales, dénoncer en même temps l’insuffisante détermination de l’appareil central, comme si, finalement, la base aurait besoin d’une consigne très explicite pour s’engager dans la grève. Nous savons que ça n’a jamais été le cas, ni en 1936, ni en 1968. Nous savons que ça part toujours de « la base », mais il faut certainement une base préparée, armée intellectuellement et capable d’anticiper les manoeuvres de ceux d’en face et de

 

les comprendre, de les déceler. En 1789, il n’y a pas eu un appel central à abattre la monarchie, c’est parti avec des revendications « de base » (du pain !) et les revendications ont progressé au fur et à mesure des affrontements et des avancées.

L’apport de ce conflit que nous avons perdu, c’est l’unité syndicale qui a été construite, certes nationalement, mais surtout, au fur et à mesure, dans les entreprises, dans les professions, dans les secteurs professionnels, dans les territoires. Ceci est maintenant un atout, un outil pour de prochains conflits. Il faut donc favoriser cette unité syndicale, en y apportant nos propositions pour les mettre en débat, à tous les niveaux. L’UNIRS, avec huit autres organisations de retraitées et retraités, regroupées désormais sous la dénomination « G9 », a l’expérience d’une intersyndicale qui fonctionne depuis avril 2014. Quand une unité s’installe dans la durée, des liens de confiance se tissent à tous les niveaux, et particulièrement, en ce qui concerne les personnes retraitées, dans les départements. Les camarades prennent l’habitude de travailler, de militer ensemble, chacune et chacun a sa place, son rôle. Et nous avons vu que, depuis 2014, notre champ revendicatif s’est fortement élargi et consolidé. Si l’unité syndicale interprofessionnelle perdure, ce seront probablement les mêmes évolutions que nous allons constater. Et tout ceci donnera naissance à un outil utile pour les prochains conflits sociaux, jusqu’au moment où le mouvement ouvrier sera plus en mesure de passer à l’offensive.

  • Les faiblesses des organisations syndicales ? Parmi les explications parfois avancées, il est souvent rappelé que les organisations syndicales sont faibles, totalement absentes dans certains secteurs professionnels, dans certains territoires, que les patrons mettent des bâtons dans les roues des militantes et des militants, réduisent les droits L’insuffisante implantation des organisations syndicales est une réalité. Mais c’est à nous même que la critique s’adresse. Les « déserts syndicaux », c’est nous qui les laissons. C’est toute notre activité syndicale qui doit alors être revue et modifiée. En n’oubliant pas qu’en 1936, avant les grèves, l’implantation des organisations syndicales n’était pas des plus glorieuses ; c’est après 1936 que les adhésions ont été importantes, comme après 1945, en gros une fois que le vent a tourné. Et, en 1968, il y a bien eu des grèves ouvrières massives, avec les organisations syndicales, mais l’impulsion avait été donnée par les mouvements étudiants, et dans nombre d’entreprises, les syndicats ont été débordés par les travailleuses et les travailleurs. Les droits syndicaux ont été améliorés après 1968. Et nous sommes parfois dans nos propres contradictions, quand nous dénonçons les patrons, quand nous semblons ne nous faire aucune illusion et que, dans le même temps, nous déplorons qu’ils ne nous laissent pas faire tranquillement notre activité syndicale. Quand les patrons nous dérouleront le tapis rouge, ce sera soit que nous sommes totalement à leur botte, soit que nous aurons pris l’avantage, que la peur aura changé de camp, et alors il n’y aura plus de patrons de « droit capital », normalement.
  • Le manque de crédibilité de nos revendications ? C’est l’explication donnée notamment par Bernard Friot dans son petit livre paru en février 2023 « Prenons le pouvoir sur nos retraites ». Il impute les échecs des organisations syndicales dans les attaques contre les retraites depuis 1987 aux erreurs que nous perpétuons quant à la formulation des revendications syndicales face aux attaques du patronat et du gouvernement contre le système de retraites. Friot estime que c’est en défendant la retraite comme « hors travail » et en posant les retraités comme « anciens travailleurs » que les opposants à la réforme perdent depuis des années. En revendiquant ainsi, il prétend que le mouvement syndical se met sur le terrain des réformateurs. Il nous faudrait, au contraire, revendiquer l’extension à tous les salariés du salaire de la libre activité que représente la retraite. Ceci conduirait à la liberté au travail des

 

Il nous dit qu’il nous faut sortir de l’idéologie commune aux réformateurs et à leurs adversaires, à savoir l’idée que la retraite est la fin du travail. Selon Bernard Friot, pour gagner dans les conflits sociaux, ça commence par de bonnes revendications.

Au vu de l’histoire, passée comme récente, il est difficile de croire que les justes causes triomphent. Ce qu’il faut, pour le rapport de forces, c’est déjà que la revendication soit partagée et portée par le plus grand nombre. Revendiquer la liberté au travail des travailleurs, c’est revendiquer la disparition du pouvoir des patrons, la suppression du fait qu’en détenant le capital ils puissent décider de notre travail, de ce que nous allons produire, et de la façon dont nous allons produire. En gros, c’est revendiquer la fin du pouvoir du capital sur le travail, c’est demander la fin du capitalisme. Soit, mais il va falloir convaincre, quand nombre de travailleurs et de travailleuses doutent déjà qu’il soit « atteignable » d’obtenir l’abandon de suppressions d’emplois ou une augmentation substantielle des salaires. Un chercheur, un intellectuel, ou toute personne se croyant telle, peut, du haut de sa chaire, assener quelques sentences ; des militantes et des militants syndicaux doivent se débattre avec la réalité du monde du travail. Certes, nous savons qu’une grande partie des maux actuels de notre société provient d’un système capitaliste, et d’un système capitaliste mené actuellement par une finance libérée sur toute la planète. Nous savons que, pour satisfaire nos revendications syndicales et salariales, il faudra obtenir des victoires décisives sur le système capitaliste. Pour autant, il n’est pas du tout certain que formuler ouvertement la revendication de l’abolition du capitalisme dès que de nouvelles attaques patronales et gouvernementales se développent serait un élément largement mobilisateur. Dans les premiers jours de la Révolution de 1789, le peuple réclamait prioritairement « du pain ». Aujourd’hui, ce serait l’augmentation des salaires. Et, semaine après semaine, et même mois après mois, du fait du raidissement du pouvoir, et des victoires partielles obtenues, les exigences se sont élargies et progressivement radicalisées. Et, hier comme aujourd’hui, dans les conflits sociaux longs, les prises de conscience d’un nombre plus grand d’individus s’améliorent et évoluent. Hier, le Tiers-État a demandé une réforme du système fiscal, la fin des privilèges, la reconnaissance de droits, un régime politique permettant une plus grande écoute de la Nation dans sa diversité. Tout ceci ne s’est pas fait en un jour. Tout ceci a demandé le temps du mûrissement dans les têtes. Et toutes les têtes n’ont pas évolué de façon identique. Par exemple, certaines ont pensé qu’une monarchie constitutionnelle serait un bon régime. D’autres ont estimé qu’il fallait abolir la monarchie, une monarchie par ailleurs « de droit divin ». Et, pendant le même temps, les tenants du système ancien, les privilégiés, les détenteurs du pouvoir économique de l’époque, ne restaient pas l’arme aux pieds. Les manœuvres, les manipulations, les rumeurs, les traîtrises, les violences de tous ordres, économiques, physiques, morales, continuaient de perdurer, avec les misères et les famines, l’utilisation de la police et de l’armée.

Le mérite de la critique que Bernard Friot adresse à toutes les organisations syndicales, et toutes depuis 35 ans (diantre, il faut une certaine assurance en soi pour critiquer aussi largement), c’est probablement que les organisations syndicales devraient plus et mieux réfléchir à leur stratégie à court, moyen et long terme. Ceci n’est pas fait. Les organisations syndicales savent que les attaques vont continuer et, au mieux, elles préparent les arguments et les textes des tracts pour quand l’attaque va être précisée et clairement formulée. Mais les organisations syndicales ne se mettent pas en mesure de fixer leurs revendications et de les imposer à l’ordre du jour des débats publics, des revendications qui rassemblent, qui donnent espoir, qui ouvrent des perspectives communes, communes aux professions et aux générations. Un manque

 

constaté au cours du premier semestre 2023 dans ce conflit contre la réforme des retraites a été l’absence de la jeunesse. Il est certain que mobiliser des jeunes sur la question de la retraite est une opération bien difficile : à 20 ans, ce n’est pas, et c’est heureux, la première interrogation et la première inquiétude. Il faut donc, quand s’engage un conflit interprofessionnel, porter un champ de revendications elles aussi interprofessionnelles et intergénérationnelles donnant envie de s’engager pour changer des choses fondamentales : le syndicalisme de transformation sociale, comme nous nous désignons à Solidaires, doit arriver à faire le lien entre des revendications immédiates et un cadre social nouveau à imaginer et à construire, étape après étape.

  • La dureté du gouvernement et son manque d’écoute ? Pour « expliquer » l’échec, nous entendons parfois que c’est à cause du gouvernement, qu’il n’écoute pas le peuple, qu’il réprime, qu’il est au service des riches, que la Constitution n’est pas démocratique, que les médias appartiennent aux riches, etc. Certes, mais tout ceci ne peut être une excuse. Tout ceci, nous le savions avant la première journée de grèves et de manifestations du 19 janvier 2023. Nous savons que de tels gouvernements ne vont pas dérouler le tapis rouge devant nos revendications, mais qu’ils vont tout faire (mensonges, manœuvres, violences sociales et économiques, violences policières, provocations, repressions, etc.) pour les rejeter. Nous devons bien intégrer que ces gouvernements n’ont que faire de l’opinion publique quand ils l’ont perdue, ils continuent d’affirmer que, leur réforme, c’est pour notre bien. Jusqu’à présent, il nous faut reconnaître que nous avons été loin d’être à la hauteur des attaques menées par ceux d’en face et des stratégies mises en œuvre pour nous

Ceci signifie aussi que, dans nos revendications, nous devons porter des exigences pour plus de démocratie, dans l’entreprise et dans la cité. La question des libertés syndicales, bien entendu, et la question des libertés publiques, sont des questions qui doivent être débattues par les organisations syndicales. La question du système constitutionnel est donc également une question qui doit être abordée syndicalement, pour éviter que tout ce qui relève des libertés fondamentales soit finalement le domaine réservé de celles et ceux qui nous exploitent.

  • L’inadaptation de nos moyens d’action ? C’est une interrogation qui revient lors de chaque mouvement social, que ce soit dans une entreprise, dans un secteur professionnel, ou au niveau interprofessionnel comme ça a été le cas dans ce conflit contre la réforme des retraites. Nous savons que la pétition, c’est un moyen de popularisation d’une revendication, mais que ce ne peut être suffisant pour faire reculer un système économique défendu par toutes celles et tous ceux qui en profitent. Le clic sur une souris d’ordinateur, c’est dérisoire face au capitalisme ! Pendant quelques jours nous avons vu fleurir des casserolades. Là encore, ce n’est pas suffisant pour que le capitalisme mette un genou à terre, mais ceci participe tout de même du rapport de forces. Ça donne de l’enthousiasme à celles et ceux qui organisent le concert, et ça perturbe les campagnes de communication des gouvernants, et particulièrement du Président, s’il est dérangé chaque fois qu’il veut mettre en avant une nouvelle priorité gouvernementale : aujourd’hui, la visite d’une maternité, puis d’une start-up, puis d’un vignoble dans le Beaujolais, puis d’un lycée professionnel, Nous appelons à la « grève générale reconductible », et nous savons que ce sera très difficile pour de nombreuses personnes qui sont déjà dans la plus grande précarité. Nous savons encore que, en règle générale, les travailleurs ont beaucoup moins de « réserves » devant eux pour pouvoir durer sans salaire, alors que les patrons, généralement, disposent du temps, et peuvent attendre que les travailleurs et les travailleuses, rapidement, capitulent. Nous savons que, dans de nombreuses entreprises, dans de nombreux secteurs professionnels,

 

l’efficacité de l’arrêt de travail sur le bon fonctionnement du système capitaliste est très réduite, voire nulle. Nous savons aussi que, dans le fonctionnement actuel du système capitaliste, il y a des secteurs professionnels, des entreprises, des postes de travail qui sont essentiels et que leur suspension d’activité pendant quelques jours poserait de très gros problèmes aux patrons et au gouvernement. Ainsi, dans un système de production de plus en plus « à flux tendus » où les entreprises disposent de peu de stocks et de pièces d’avance, une bonne logistique au quotidien est indispensable. Nous savons qu’il faut mettre en place un rapport de forces entre le capital et le travail, mais nous ne nous organisons pas, en amont, pour se donner les moyens de ce rapport de forces. Ceci nécessiterait déjà que ces secteurs professionnels (logistique, transports, énergie, etc.) soient des priorités dans les démarches de syndicalisation. Ceci nécessiterait aussi des coordinations des salarié.e.s à l’intérieur des entreprises, à l’intérieur des secteurs professionnels, entre les professions sur un territoire, pour décider collectivement des moyens à retenir pour avoir l’impact le plus fort et qui puisse durer quand le mouvement syndical s’engage dans la grève. À terme, il faudrait certainement que le réseau de l’intersyndicale soit assez dense pour pouvoir débattre collectivement, avant de lancer la grève générale, de l’organisation concrète de cette grève, dans la durée, dans les entreprises et dans les territoires.

Et nous savons, avant d’engager l’action, que si un mouvement sérieux s’engage, ceux d’en face feront tout pour s’y opposer, et pas seulement par les mensonges, les fausses informations, les violences policières. Mais aussi par la désertion des capitaux, d’autant plus facilement qu’ils peuvent les déplacer, à la vitesse d’un clic sur un ordinateur, d’un paradis fiscal à un autre paradis fiscal, et par les forces répressives dont ils disposent. Quand des camarades doutent, quand ils disent à plus de 70 % qu’ils sont contre la réforme et quand, dans le même temps, et très fortement, ils pensent tout de même que Macron va faire sa réforme, c’est certainement que nous n’avons pas apporté de réponses à toutes ces interrogations qui peuvent se faire dans les têtes.

  • De masse et de classe ? Les organisations syndicales qui se disent « de transformation sociale » doivent savoir lier le syndicalisme dit « de masse », à savoir un syndicalisme qui pèse réellement par le nombre, qui ne soit pas minoritaire, mais qui soit un élément signifiant dans le mouvement ouvrier, et un syndicalisme dit « de classe », à savoir avec une vision cohérente du monde, avec une chaîne de revendications allant du local au global, du cas particulier à la remise en cause du système qui génère toutes ces inégalités et ces Il faut donc savoir parler aux travailleurs et aux travailleuses et surtout, sans doute, les écouter, les entendre, faire sont « boulot » de militante et de militant, tout simplement. Il faut prendre nos camarades de travail comme ils et elles sont, façonnés, influencés par le travail, par l’organisation du travail, par le management, par le système hiérarchique et de promotion, par le système capitaliste de course à la production et à la consommation, un grand nombre plus ou moins sous l’influence de l’idéologie dominante. Et, en même temps, leur permettre d’envisager, ensemble, d’autres possibles, d’autres rapports sociaux et humains. C’est cette action syndicale qu’il nous faut mener au quotidien pour gagner progressivement des batailles culturelles, pour que d’autres espoirs renaissent.

 

 

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