Philippe Martinez : « La priorité est d’aller voir les salariés, les syndiqués »
François Hollande a annoncé jeudi qu’il entend « aller plus loin encore » dans la même politique après le pacte de responsabilité et la loi Macron, deux réformes que vous combattez. Pourtant, les mobilisations peinent à s’imposer. Le moment est-il propice pour réussir la journée d’action interprofessionnelle que vous souhaitez organiser ?
Philippe Martinez Manuel Valls avait donné le ton des intentions du gouvernement lors de son voyage en Chine, où il a vanté les mérites de la France tels qu’il les voit : affaiblissement du Code du travail, facilité de licenciement, etc. Il n’est donc pas surprenant que Hollande ait confirmé que son cap ne changerait pas. Mais peut-être est-il mal informé ou pas assez à l’écoute, car le climat social a évolué ces derniers mois, et notre proposition d’une journée de mobilisation tient compte de ce fait. De nombreuses luttes se développent sur les salaires, comme chez Thales, où toutes les organisations syndicales seront mobilisées, mardi prochain, ou encore chez les routiers. Les manifestations des cheminots et dans l’énergie témoignent aussi de ce frémissement. À partir de ce constat, nous estimons qu’il y a besoin de convergences public-privé, mais aussi entre organisations syndicales contre les politiques d’austérité du gouvernement. Notre campagne sur le coût du capital a aussi contribué à lever le doute dans l’esprit des salariés sur le fait que l’argent existe pour augmenter les salaires. Au niveau national, la confédération propose des initiatives qui permettent à tous ceux qui se battent dans leur entreprise de se retrouver.
Le gouvernement a aussi annoncé sa volonté de légiférer après l’échec de la négociation sur le dialogue social…
Philippe Martinez C’est la première fois depuis que François Hollande est président qu’aucun syndicat ne signe d’accord au bout d’une négociation. À cette occasion, deux problèmes ont été soulevés dans toutes les organisations syndicales : le premier concerne la forme des négociations. Aujourd’hui, c’est le patronat qui impose son timing et dirige de A à Z le rythme des négociations qui ont même lieu dans leurs locaux. Et c’est toujours le patronat qui propose un texte. Si l’on faisait l’inverse, peut-être que ce serait le Medef, et non les syndicats que l’on classerait dans le camp des contestataires ! Le second problème portait sur le fond des propositions : la création de conseils d’entreprises acterait la réduction du nombre d’élus du personnel, mais aussi des moyens des salariés de se défendre et de proposer des alternatives face aux restructurations. En France comme dans de nombreux pays d’Europe, la représentation syndicale assume le pouvoir de négociation. Le gouvernement a dit qu’il voulait légiférer, mais nous pensons qu’il ne peut pas faire une loi sur la base d’une négociation qui a échoué. Il faut qu’il entende nos propositions.
Vous avez évoqué la revendication de la CGT d’une nouvelle réduction du temps de travail. Ne craignez-vous pas d’apparaître à contre-courant du discours dominant ?
Philippe Martinez Si c’est le cas, nous en sommes fiers ! Partout en Europe, les syndicats posent la question d’une réduction massive du temps de travail. C’est un passage obligé pour que ceux qui ont un travail aient plus de temps pour vivre et pour que ceux qui n’en ont pas puissent trouver un emploi.
Vous insistez beaucoup sur l’importance de l’unité syndicale pour faire face au patronat et inverser le rapport de forces. Est-elle possible ?
Philippe Martinez On peut choisir de mettre en avant tout ce qui nous oppose : on est alors sûr de ne pas parvenir à des actions communes. Mais on peut aussi s’inspirer de ce qui se fait dans les entreprises où, malgré les désaccords et les tensions, des actions communes se mènent. Chez les routiers par exemple, ils ne sont pas entrés dans l’action tous ensemble, mais aujourd’hui tous les syndicats s’y retrouvent pour faire avancer dans le bon sens les négociations. Rien n’est impossible si on écoute les salariés. Ils connaissent nos désaccords, on met plus souvent ce qui nous oppose en avant que ce qui pourrait nous rassembler. Nous voulons œuvrer à des convergences. Le congrès de FO propose une journée d’action, nous aussi, nous allons leur proposer d’en discuter, tout comme nous allons faire la même démarche auprès de la CFDT.
N’avez-vous pas peur de ne pas être compris de vos syndiqués, au vu de la nature des accords signés avec le patronat par la CFDT ?
Philippe Martinez Cette question fait débat dans la CGT, je ne le nie pas. Quand un accord est signé par un syndicat parfois contre l’avis même des salariés, forcément cela pose problème. Je comprends ce mécontentement, je l’ai moi-même partagé à l’occasion d’accords chez Renault. Cela doit-il empêcher toute convergence à l’avenir, quand les salariés hésitent à se mobiliser, et nous demandent de nous mettre d’accord ? Choisir de ne pas discuter par principe ou par posture est à mon avis une erreur.
La crise qui a explosé il y a trois mois au sein de la CGT a soulevé de nombreux débats chez les syndiqués : démocratie interne, redéfinition du rôle des instances de la CGT, création de règles de vie transparentes et homogénéisées, perte d’efficacité syndicale, rapport au politique… Comment ces questions ont-elles été abordées lors du comité confédéral national (CCN) de mercredi ?
Philippe Martinez À partir de faits réels, la presse a parfois amplifié l’ampleur des dysfonctionnements constatés. Mais en effet, des choses anormales ont été faites, comme les factures des travaux dans un appartement qui ne nous appartient pas. Cela remet en cause des valeurs essentielles de la CGT, celles de milliers de militants qui, tous les jours, mouillent la chemise, sont discriminés, sont réprimés, sont bénévoles parce que les heures de mandats syndicaux ne sont pas élastiques. Cet engagement militant a été percuté par ces révélations. Nous avons besoin de faire la clarté, en essayant malgré l’impatience, de trouver la vérité. Même si, lorsqu’on a comparé ce qui s’est passé à la CGT avec certains salaires de patrons ou avec les parachutes dorés, c’est plus qu’excessif, c’est même à la limite de la déontologie pour les journalistes. Le lendemain des révélations dans le Canard enchaîné, j’ai passé sept heures chez Airbus à Toulouse. Les camarades étaient contents de me voir. Cela s’est bien passé. Nous avons pris des mesures pour obtenir de la transparence, des règles de vie, pour créer des processus de décision plus élargis. Le boulot est en cours, il est difficile. Car il n’y a pas que la confédération qui doit changer ses pratiques, il y a aussi les fédérations, sans toutefois tout uniformiser.
Qu’en est-il sur les autres points ?
Philippe Martinez Un premier bilan sur la mise en œuvre des résolutions de congrès a été dressé. Sur notre conception du syndicalisme, sur la conception des luttes, sur le syndicalisme rassemblé, nous sommes allés loin dans la discussion, plus loin que sur l’indépendance vis-à-vis du politique. Je vais prendre l’exemple de la Grèce. Pour la première fois depuis de nombreuses années, il y a un parti qui arrive au pouvoir pour rompre avec l’austérité et conduire une tout autre politique. Évidemment, nous regardons cela avec attention, mais il ne faut pas faire des raccourcis entre les situations politiques de la Grèce, de l’Espagne et de la France. Syriza, Podemos et le Front de gauche, ce n’est pas la même chose. Et ce qui marque le syndicalisme européen, c’est son manque d’indépendance vis-à-vis du politique. En Grèce, un syndicat a failli s’écrouler avec le Pasok. Tandis que l’autre organisation syndicale est très liée au Parti communiste grec (KKE). C’est donc plus compliqué qu’il n’y paraît. La CGT doit échanger avec les partis politiques, sauf un (le Front national – NDLR). Des partis avec lesquels nous pouvons nous retrouver, mais il ne faut pas que ce soit l’œuvre de quelques-uns ou de petits groupes. Au sein de la CGT, il y a des syndicalistes engagés politiquement – d’ailleurs de moins en moins, comme dans la société – et d’autres qui sont engagés dans les mouvements citoyens et associatifs, mais la majorité n’est engagée nulle part ailleurs. Personne ne doit décider à leur place. Ce n’est donc pas un sujet tabou, mais il faut en discuter et se mettre d’accord au sein de la CGT.
Comment comptez-vous associer les syndiqués à la préparation du prochain congrès de 2016 ?
Philippe Martinez Nous avons choisi une préparation extraordinaire du congrès, plutôt qu’un congrès extraordinaire. La première chose est d’aller voir les salariés, les syndiqués, pour savoir ce qui marche et ne marche pas dans le syndicat. Nous avons proposé qu’il y ait au moins 2 000 rencontres avec des syndicats qui correspondent à leur diversité dans la CGT. On veut rééquilibrer le temps passé avec les patrons ou les ministres avec celui passé auprès des syndiqués. Chaque fois qu’on va dans un syndicat, on se fait engueuler les cinq premières minutes et ensuite, on reste trois heures. Et les copains nous demandent de revenir ! Puis, ils veulent que nous visitions leur boîte : nous avons besoin de dirigeants qui aillent vérifier dans les boîtes comment se passe le travail. Je me battrai pour le faire. Certains disent que 2 000 visites, ce n’est pas assez. Mais ça changera déjà nos habitudes ! Et si on peut en faire 5 000, on en fera 5 000. J’ai déjà pris des rendez-vous. J’ai une petite expérience et en plus, j’aime ça !
Chaque nouveau secrétaire général parle de lancer une campagne de syndicalisation. Comment rendre la vôtre fructueuse et faire en sorte que la CGT soit à l’image du salariat d’aujourd’hui ?
Philippe Martinez Il faut faire un état des lieux très précis de l’implantation de la CGT, et de là où sont les salariés. Si on veut être efficace, il faut savoir où aller et à qui s’adresser. Après, il faut être partout. Il y a des déserts syndicaux connus : les privés d’emploi, les précaires et par principe toutes les nouvelles formes de salariat. Les boîtes d’intérim sont présentes dans les entreprises. Même si elles sont situées dans l’atelier ou dans les services, on passe devant et on ne s’y arrête pas. Il faut se déplacer dans les déserts syndicaux et dans les « petites oasis », ces entreprises où il n’y a que 100 syndiqués pour 15 000 salariés… Ça demande du volontarisme. On veut organiser une grande campagne de syndicalisation pour que tout le monde travaille en même temps et pour dire aux salariés qu’on a besoin de syndiqués. C’est vital. Ce n’est peut-être pas la première préoccupation pour d’autres. Ça dépend du type de syndicalisme que l’on porte. On peut avoir des syndicats sans adhérent. Ce n’est pas notre conception. Pour nous, le nombre de syndiqués est le garant de la démocratie interne et de notre représentativité.
Avec une composition du bureau confédéral comportant une surreprésentation du secteur public (8 membres sur 10), ne vous exposez-vous pas aux critiques ?
Philippe Martinez Ça ne me dérange pas de m’exposer ! Mais on prend la question sous le mauvais angle. Si on fait un état des lieux du salariat, ne trouve-t-on pas des milliers de salariés du privé dans une entreprise publique comme la SNCF ? EDF, qui est une entreprise publique et nous espérons bien qu’elle va le rester, ne fait-elle pas travailler des milliers de salariés du privé ? Quel est le statut des salariés d’Orange ? Public, privé ? On ne peut plus raisonner comme cela. Au bureau confédéral, chacun n’est pas rangé dans une case. Le bureau doit s’occuper de la CGT et de ce qu’elle veut faire à partir des réalités de tous.
Vous avez déclaré que le bureau confédéral allait impulser et proposer, sans avoir des membres spécialisés sur des dossiers. Est-ce un signe que le rôle de la confédération va changer ?
Philippe Martinez Ça ne fait que deux ans que je suis membre de la Commission exécutive confédérale. Et depuis, j’entends parler de dysfonctionnements. Soit on refait la même chose, soit on réfléchit, on écoute, et on se demande pourquoi ça ne marche pas. Quand on est accaparé par les dossiers, la notion d’organisation est moins visible et la notion d’équipe ne l’est plus du tout. Il faut une notion d’équipe, c’est important. On a toujours beaucoup demandé à la confédération. Il le faut, non seulement pour organiser une journée interprofessionnelle, mais aussi sur tous les sujets. Et en même temps, il faut donner à la confédération les moyens de les traiter. Il faut aussi moins d’étanchéité entre les organisations. Et s’adapter aux réalités de terrain. Que la confédération propose sans imposer et mette tout cela en musique.
A reblogué ceci sur cgt Ericsson ITSS.