Nous publions ci-dessous un article de Michel Noblecourt publié par Le Monde
L’initiative est totalement inédite. A l’occasion du congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui s’ouvre mardi 29 septembre à Paris en présence de François Hollande, cinq syndicats français – CGT, CFDT, Force ouvrière, CFTC et Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) – ont décidé de raconter ensemble leur histoire. Une histoire pourtant rythmée par des scissions, des divisions et au final une désyndicalisation massive. Cela donne un petit fascicule d’une trentaine de pages, en français et en anglais, intitulé sobrement « Les syndicats en France ».
A l’origine, l’idée est venue de Maryse Dumas, ancienne numéro deux de la CGT, chargée de l’organisation du 120e anniversaire de la centrale. Chaque syndicat a désigné une plume: Frédéric Imbrecht pour la CGT, Philippe Antoine pour la CFDT, Sébastien Dupuch pour FO, Joseph Thouvenel pour la CFTC et Michel Guerlavais pour l’UNSA.
Ce travail a été coordonné par l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), créé en 1982, qui réunit l’ensemble des confédérations représentatives, avec le concours de Jean-Marie Pernot, un spécialiste du syndicalisme. Dans la préface, les auteurs, auxquels s’ajoute Elyane Bressol, de l’Institut d’histoire sociale de la CGT, évoquent « un travail patient, souvent empreint de passion« . « Réussir une écriture partagée de l’histoire des syndicats en France, soulignent-ils, n’était pas gagné d’avance car cela nécessitait de se dégager d’une vision singulière que peut porter chaque organisation. »
Faits historiques
Le résultat est largement à la hauteur, tant le récit évite la langue de bois, n’occulte aucun épisode sombre et ne gomme aucun des faits historiques expliquant la division du syndicalisme. Ils présentent d’emblée « huit organisations d’importances diverses » qui ensemble « déclarent environ 2,5 millions d’adhérents« . « Les statistiques établies, lit-on dans la brochure, retiennent généralement une densité syndicale représentant environ 8% des salariés français« , soit 15% dans le public et 5% dans le privé.
« La grande dépression des années 1980, expliquent les auteurs, a conduit à une désyndicalisation massive qui n’a pas été effacée trente ans plus tard. » Ils relèvent parmi les facteurs d’affaiblissement qui ont vu le syndicalisme perdre en une dizaine d’années « la moitié de ses affiliés« : « un recul massif des effectifs des bastions de l’industrie, une accentuation de la division syndicale et les premiers effets des politiques néo-libérales« .
La brochure évoque les « deux traditions historiquement productrices de syndicalisme : le syndicalisme d’origine laïque (socialiste au sens large) et le syndicalisme d’origine chrétienne« . « Après la Seconde Guerre mondiale, le courant communiste devenu majoritaire, détenait les leviers de commande d’une CGT réunifiée dans la Résistance. »
Cela a conduit à un « éclatement », entre 1947 et 1948, qui a donné naissance notamment à FO « poursuivant la tradition réformiste dominante dans le syndicalisme avant 1936« . Après la Charte d’Amiens (1906), « qui tenait le syndicat à distance du Parti socialiste« , « le communisme a joué par la suite un rôle de premier plan, il a introduit dans les années 1920 une relation imbriquée entre le parti et le syndicat, liaison qui a duré jusqu’au début des années 1990. Le déclin brutal du Parti communiste français au cours des années 1980 a contribué pour une part à l’affaiblissement de la CGT. Celle-ci s’est alors éloignée du parti avec lequel elle entretenait des rapports de grande proximité. »
Légitimité
L’histoire de la CFDT n’est pas davantage gommée, depuis la « radicalisation de ses positions » en mai 1968 jusqu’à son « tournant plus réformiste valorisant le rôle de la négociation et la recherche du compromis » à la fin des années 1970. La brochure ne masque par les « dispositifs liant l’emploi à l’adhésion syndicale » (dockers, presse, imprimeurs) et souligne qu' »aucune délivrance de service n’a jamais étayé la construction d’un syndicalisme à bases multiples, comme dans de nombreux pays européens« , ce qui a contribué historiquement « à un syndicalisme beaucoup plus porté par ses militants que par une base d’adhérents nombreux« .
« La légitimité des syndicats en France, lit-on en conclusion, repose beaucoup sur leur capacité à imposer des thématiques sociales dans l’espace public, qu’il s’agisse du recours à la mobilisation ou de l’animation du débat social. » « Les salariés semblent habitués à compter sur les syndicats sans pour autant s’y engager. » Les syndicats « ont engagé des campagnes pour leur renforcement pour l’heure inabouties dans un contexte difficile« . Il ne reste plus maintenant à ces cinq syndicats qu’à organiser des formations communes de leurs militants à l’histoire syndicale…