Nous avons reçu le commentaire suivant d’Yves Baverel (qui se présente comme venant de « l’univers ferroviaire public »), à propos de l’article publié le 8 avril dernier et intitulé « Syndicalisme et travail : deux univers parallèles?« . Cet article de Gerard Grosse, de l’Institut de recherche de la FSU, commentait lui-même le chapitre écrit par Tony Fraquelli à propos du regard d’un syndicaliste (cheminot) sur le travail, dans le livre : Nouveau siècle, nouveau syndicalisme. Que le débat continue !
Syndicalisme et travail : deux univers parallèles? A première vue provocateur, le questionnement me semble particulièrement pertinent.
Mon parcours professionnel dans l' »univers ferroviaire public » plutôt atypique depuis 30 années, tout comme mon militantisme syndicaliste, altermondialiste puis politique m’ont apporté la possibilité de porter un regard critique, voire distancié sur l’efficacité du syndicalisme.
N’ayant plus eu depuis plusieurs années de responsabilité syndicale (voire même d’appartenance tout court à une organisation durant ces 4 dernières années), je me suis retrouvé il y a peu à l’apprentissage d’un nouveau métier à la fois très technique et politiquement sensible.
Horairiste SNCF : emploi stratégique en regard du système ferroviaire, pris en otage entre le marchandage de pouvoirs entre SNCF et RFF, et les injonctions dogmatiques bruxelloises… autrement dit un terrain parfait pour l’épanouissement de la souffrance au travail !
Le taylorisme évoqué par Tony est un trait du syndicalisme de lutte qui m’avait particulièrement marqué comme je me retrouvais jeune militant cheminot à participer à une conférence technique « exploitation » CGT à Montreuil fin des années 1980.
Je m’étais d’ailleurs (imprudemment) fait remarquer en regrettant publiquement, que dans cette réunion, où il était question de contenu revendicatif « métier », le déroulement des discussions était par trop ostensiblement « cadré » par le bureau, bien en ligne et en estrade face aux militants de base, et de surcroît de province…
25 ans plus tard la mondialisation capitaliste a bouleversé le rapport au travail.
Pour les travailleurs du rail, le paternalisme techniciste de l’entreprise intégrée a été remplacé par un flot d’injonctions technocratiques hors-sol de managers carriéristes incapables de comprendre – pour la plupart – la portée des restructurations sans fin qu’ils organisent.
Il faudrait prendre le temps d’analyser l’impact des nouvelles technologies, implantées systématiquement dans les lieux de travail, sous couvert du vocable délé tére de « modernisation », à partir de pseudos études d’experts, voire de groupes de travail habilement manipulés par la hiérarchie.
Bien des cheminots ont alors perdu la maîtrise d’outils traditionnels au profit de systèmes informatiques étrangers à leur culture au travail, et de fait placés sous un contrôle permanent. Isolement des postes de travail, surcharge mentale, aliénation des outils, perte du sens : pendant ce temps le syndicalisme n’a pas su ou voulu évoluer ; le taylorisme correspondant à une organisation du travail d’un autre âge était toujours prégnant dans le fonctionnement des structures syndicales.
Pas sûr pour autant que la distanciation syndicalistes/salariés au travail ait pour origine principale une non prise en compte chronique par les « politiques » de la problématique des questions de souffrance au travail (pour faire court).
Il me semble très important de creuser du côté de la sociologie des organisations.
Car le système capitaliste a repris la main en s’appuyant sur des institutions, organisations, dont la caractéristique principale repose sur une centralisation sans faille du concept de gouvernance.
L’idéologie de l’infaillibilité de l’expertise, indépendante, présenté comme au-dessus de tout intérêt particulier, et pour faire court même garant en dernier recours de l’intérêt général, a gangréné jusqu’aux organisations dont la raison d’être est originellement l’émancipation des salariés et des citoyens.
Le culte de l’individu compétitif orchestré par le système managérial et l’ensemble du système médiatique ont fini de mettre à mal les équipes syndicales de proximité.
Quand au gré des restructurations, dans une entreprise publique désormais mondialisée, les décisions échappent irrémédiablement à l’échelon local, que le collectif de proximité sombre dans le « ringard sociétal », la pression semble trop forte ; rejoindre la région, la FD… Bref, alors que tout bouge, pourquoi ne pas pas faire carrière dans une forme de gouvernance syndicale encouragée par des accords paritaires (institutionnalisation via la garantie de carrière voire intégration des permanents…).
Le lien salarié-syndicaliste est tellement mis à mal que l’on doit aborder aujourd’hui la reconstruction de la manière de travailler syndicalement.
Il semble ainsi urgent d’inventer de nouveaux liens ; pourquoi pas des journaux d’expressions ouverts prioritairement aux non-militants et soutenus par les organisations de manière à redonner la parole contre la souffrance au travail?
Pourquoi ne pas imaginer que ces organes d’expressions puissent permettre le fleurissement de débats entre syndicalistes et travailleurs? En retournant dans des lieux tels les cafés, qui ont fait les premiers jours du mouvement ouvrier?
Combattre l’institutionnalisation du militantisme, la gangrène du concept de gouvernance et d’omniscience de pseudo-expert, montrer qu’un militant syndical peut s’épanouir dans un collectif authentique en gardant plus qu’un pied dans la production, questionne des aspects qui dépassent le fonctionnement des organisations syndicales.
De nouvelles relations mutuellement avantageuses entre mouvement social et politique doivent voir le jour, afin que les collectifs militants de proximité puissent à nouveau maîtriser la marche d’un monde qui lui échappe de plus en plus, et participer à construire ensemble un projet de société où les salariés retrouvent espoir et place.
Le capitalisme mondialisé colonise via les réseaux sociaux l’imaginaire de l’individu fantasmé en super héros hors sol?
Réinvestissons la proximité du bureau, de l’usine, du commerce pour réinventer dans les marges du système un nouveau monde solidaire dans la proximité.
Yves Baverel