Quand les syndicalistes sont soumis…à évaluation par les patrons

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Incroyable, mais vrai : les syndicalistes sont maintenant évalués et notés dans leur militantisme par les patrons ! En effet, depuis le vote de la loi du 20 août 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme, et ensuite la loi Rebsamen, le législateur n’affirme plus seulement comme illégale la discrimination syndicale, ce qui est la moindre des choses. Il réclame aussi des employeurs qu’ils passent à l’action en signant avec les organisations syndicales des accords facilitant l’évolution de carrière des militants et valorisant les compétences qu’ils ont pu développer pendant leurs mandats. Mais cela autorise-il les employeurs à évaluer « les compétences » des militants syndicaux? C’est pourtant ce qui semble se produire de plus en plus, et notamment dans cet exemple dans une banque (la BPCE), avec une action en justice de la Fédération banques et assurances CGT.

Cet article est déjà paru dans la revue Options, de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT) CGT.

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Question : une direction d’entreprise peut-elle, pour faciliter la gestion de carrière d’un élu ou d’un militant syndical, évaluer les compétences qu’il mobilise dans l’exercice de son mandat ? Interroger sa capacité à se « faire le porte-parole d’une position pluri-syndicale » et sonder sa manière de mobiliser « les ressources et moyens mis à sa disposition par son organisation » ? Ou encore estimer et noter de 1 à 4 ses facultés à « retrouver rapidement de l’énergie, de la motivation à l’issue d’un événement décourageant ou d’un échec » ? Note 1 pour : « ne maîtrise pas la compétence ». Note 4 pour : « la maîtrise totalement, a la capacité à la transférer et fait référence en la matière ». Le tout pour le consigner dans le dossier de chacun et, si besoin est, promet-on, envisager des actions de formation et des perspectives d’évolution…

 

Le problème a été posé le 13 septembre dernier aux magistrats de la première Chambre sociale du Tribunal de grande instance de Paris. A l’origine de cette demande, la fédération CGT des syndicats des personnels de la banque et de l’assurance (1) agissant contre la BPCE. L’organisation espérant obtenir de la Cour un jugement déclarant comme contraire à toutes les dispositions légales existantes cette pratique annoncée par l’article 3.1.1 de l’accord sur le parcours professionnel des représentants du personnel signé le 28 janvier 2016 entre la direction du deuxième groupe bancaire français, la CFDT, la CFE-CGC et l’UNSA. Les magistrats donneront leur réponse le 25 octobre.

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Depuis la loi du 20 août 2008

 

Quelle qu’elle soit, l’affaire doit être suivie de près. Car aussi original soit ce dossier, il pourrait, à l’avenir, ne pas faire exception. Me Vincent Mallevays, avocat de la fédération, en est convaincu. Son raisonnement est simple. Si l’accord de la Bpce a l’ambition d’améliorer le parcours professionnel des représentants du personnel et rendre, ainsi, leur fonction plus attrayante et le syndicalisme plus attractif, ainsi que l’assure Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues, structure qui a participé à la phase expérimentale de ce texte, les faits sont là. Ce texte a aussi fonction à mettre la politique de gestion des ressources humaines du deuxième groupe bancaire français en conformité avec la loi. Depuis le vote de la loi du 20 août 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme et, après lui, celui de la loi Rebsamen, le législateur n’affirme plus seulement comme illégale la discrimination syndicale. Il réclame des employeurs qu’ils passent à l’action en signant avec les organisations syndicales des accords facilitant l’évolution de carrière des militants et valorisant les compétences qu’ils ont pu développer pendant leurs mandats.

 

Chez Valéo, Axa, Csf, Invivo, Areva ou encore Dassault Systèmes, des négociations ont déjà été conclues en ce sens. Reste que jamais, à ce jour, aucun accord n’a été aussi loin que celui de la Bpce. Un texte qui n’évoque pas seulement le recensement des compétences des élus et mandatés mais entend aussi les évaluer. Les évaluer et les noter. Certes, la direction assure que la pratique ne s’imposera que sur la base du volontariat et promet que les salariés qui ne voudront pas se prêter au jeu pourront y échapper. Mais que vaut cette promesse quand l’évaluateur est un supérieur hiérarchique et l’évalué un salarié placé dans un lien de subordination ? Et la possibilité donnée aux organisations syndicales de donner, elles-mêmes, leur avis sur les militants n’annonce rien de bon. Plutôt l’assimilation définitive par les organisations de critères de compétences syndicales fixés par une direction et une seule… Une approche que la lutte contre les discriminations, seule, ne peut justifier.

 

« A quoi doivent servir les syndicats ? A offrir le visage que les employeurs attendent d’eux pour mieux accompagne leurs choix de gestion ou à être à l’écoute des salariés et à représenter leurs intérêts ? », demande Josépha Dirringer, juriste et universitaire, spécialiste de la représentation des salariés. En 2015, lors des négociations préalables à la rédaction de la loi Rebsamen sur le dialogue social, la Cgt n’a cessé de se battre contre cette confusion qui, petit à petit, tente de redéfinir les règles dans et hors l’entreprise. Et tout logiquement, se souvient Agnès Le Bot, alors chargée du dossier au sein du bureau confédéral, elle avait non seulement défendu l’idée que la lutte contre les discriminations était indissociablement liée au développement des droits syndicaux. Mais aussi celle que, déroulement de carrière des élus et mandatés et droit commun devaient rester indissociables au risque d’isoler les militants, de les couper de leurs collègues et d’en faire un corps à part dans l’entreprise. L’affaire BPCE démontre aujourd’hui toute l’actualité de la démarche.

 

Et les salariés dans tout ça ?

 

Avant de décider d’ester en justice, la fédération Banque et assurance  de la CGT a débattu de la pertinence de se lancer d’une aventure qu’elle savait devoir la mener seule -FO qui s’est aussi opposée à l’accord ayant annoncé ne pas vouloir se lancer dans l’aventure. Elle a consulté ses adhérents, pris contact avec les secteurs DLAJ (Droit et libertés-action juridique) de l’union départementale de Paris et de la confédération. Puis, « pour une extrême majorité d’adhérents », la chose s’est imposée comme une évidence, témoigne Valérie Lefebvre Haussmann, sa secrétaire générale. La lutte contre les discriminations syndicales a toujours été une priorité de l’organisation. Pour preuve, les actions devant les prud’hommes en cours sur ce thème lancé par la CGT Natixis notamment ; Natixis, l’une des plus importantes filiales du groupe. Mais pour la dirigeante syndicale, cet objectif ne peut se faire à n’importe quelle condition. Et, certainement pas, comme le dit aussi François Duchet, secrétaire général de la CGT-Natixis, en acceptant « une immixtion de l’employeur dans notre manière d’agir ». « Comment pourrions-nous accepter qu’il juge l’approche qui est la nôtre ? Seuls les syndiqués et les salariés sont en droit », explique ce dernier. « Soyons sérieux. Des méthodes existent pour s’assurer de l’évolution de carrières des militants et syndiqués : la méthode Clerc développée dans les années 90 par la Cgt de Peugeot-Sochaux dans la lutte contre la discrimination syndicale qui a permis de revaloriser les salaires de près de 200 d’entre eux ; ou celle portée par la validation des acquis et de l’expérience. La direction aurait les moyens d’agir si ses intentions n’étaient ailleurs », défendent-ils tous deux.

 

Le 13 septembre, lors de l’audience qui s’est tenue au Palais de Justice de Paris, Vincent Mallevays a poursuivi ce raisonnement. « Le dispositif inscrit dans l’article 3.1.1. de l’accord de la BPCE outrepasse largement l’objectif fixé par la loi », a-t-il dénoncé. Qui plus est, il réinstaure de la discrimination en évaluant sur des bases spécifiques les élus et mandatés. Au-delà, a-t-il insisté, les conventions 87 et 98 de l’OIT tout comme le Code du travail hexagonal affirment ce principe intangible selon lequel « la liberté syndicale implique l’autonomie et l’indépendance des syndicats ainsi que l’exclusion de toute intervention de l’Etat ou des employeurs sur leur fonctionnement ». Le contester, a-t-il développé, signifie « borner le syndicalisme à un rôle facultatif et purement consultatif et réintroduire certains des composantes du pouvoir de direction de l’employeur dans le champ de l’activité syndicale ». Inacceptable…

 

Les magistrats le suivront-ils dans son raisonnement ? Donneront-ils raison à la CGT ? Si tel n’est pas le cas, la fédération pourrait bien aller en appel. Mais alors, reste une inconnue. A ce jour, ses militants ont bien eu du mal à partager leur combat judiciaire avec les salariés. Y parviendront-ils demain ? Réussiront-ils à leur faire comprendre que de son succès, ou pas, dépend la défense de leurs intérêts ? Capital. Car dans ce dossier, une autre évidence s’impose : l’accord du 28 janvier 2016 de la BPCE trace bel et bien les contours d’une certaine conception du syndicalisme. Sujet sur lequel les salariés doivent, eux-aussi, pouvoir se prononcer.

Martine Hassoun

 

(1) La BPCE est un groupe qui compte 110 entreprises, filiales et sous-filiales et emploie 120 000 salariés. Une complexité organisationnelle qui a poussé la fédération a porté l’affaire.

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