En ces moments de négociations UNEDIC, on constate souvent de grandes difficultés à mobiliser les chômeurs sur leurs propres droits. C’est une question aussi ancienne que la montée du chômage depuis la fin des années 1970. De multiples tentatives d’organiser les chômeurs ont eu lieu depuis ces années, avec l’apparition d’associations nationales : le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), né en 1987 et issu du « Syndicat des chômeurs » lancé par Maurice Pagat en 1982; l’Association pour l’emploi, l’insertion et la solidarité (APEIS), lancée par Richard Dethyre dans la région parisienne, avec l’appui du PCF; le collectif d’associations et de syndicats nommé Agir ensemble contre le chômage ! (AC!) lancé en 1992-93 par des structures syndicales CFDT, SUD, des syndicalistes CGT, FSU, ainsi que des associations. La CGT est la seule confédération à vouloir organiser vraiment les chômeurs, avec le Collectif national des privés d’emploi CGT (CNPE) existant depuis la fin des années 1970.
Ces quatre organisations ont marqué les mobilisations, notamment celles de l’hiver 1997-98 : occupations d’ANPE jour et nuit aboutissant surtout à une reconnaissance nationale du mouvement. Elles organisent chaque année une journée nationale début décembre. Toutes se sont affaiblies sous les coups d’une crise sans cesse plus tragique pour les privés d’emploi indemnisés à moins de 50%, et les chômeurs de longue durée, les jeunes, les « sans-droits » survivant avec les stages ou contrats sous-rémunérés, le RSA, ou l’Allocation de solidarité spécifique (ASS), c’est-à-dire hors des droits salariaux.
Dans la CGT, des débats parfois vifs ont eu lieu entre les Comités de privés d’emploi, qui n’ont pas un statut confédéral d’organisation, et la direction confédérale. Ces débats portent sur la manière d’agir et aussi sur le fond des projets, et notamment sur le financement des droits des chômeurs.
Nous publions ci-dessous un article de Sophie Béroud, chapitre d’un livre paru sur les mobilisations de chômeurs (voir référence ci-dessous). Cet article tente une synthèse des débats qui traversent la CGT sur l’organisation des chômeurs en son sein.
cliquez pour lire le texte original du livre: Chapitre_Sophie_Beroud_-_Prives_d_emploi_CGT
Publié dans Didier Chabanet, Jean Faniel (dir.), Les mobilisations de chômeurs en France : problématiques d’alliances et alliances problématiques, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 153 à 176.
L’influence contrariée des « privés d’emploi » dans la CGT
Sophie Béroud (Université Lyon 2 – Triangle)
La CGT présente en France la particularité d’être aujourd’hui[1] la seule centrale syndicale à organiser en son sein les chômeurs en tant que composante spécifique du salariat. L’expérience est d’autant plus significative qu’elle dure maintenant depuis plus de trente ans. Durant toute cette période, d’autres syndicats se sont certes positionnés par rapport à cet enjeu. Les réflexions menées par une partie de la CFDT au tournant des années 1980 sur l’importance prise par le chômage de masse et la nécessité de créer des liens de solidarité entre travailleurs, avec ou sans emploi, ont ainsi joué un rôle précurseur dans la genèse d’une association comme Agir ensemble contre le chômage (AC !), dans laquelle se sont investis des militants « cédétistes »[2]. Mais cette question a surtout été portée par des équipes syndicales minoritaires qui se sont retrouvées, du milieu des années 1980 à 2003, dans l’opposition face à l’orientation prônée par la direction confédérale[3]. De plus, la réflexion n’a jamais abouti à la création d’une structure spécifique destinée à accueillir les chômeurs. Fondés au cours des années 1990, SUD-PTT puis l’Union syndicale Solidaires ont intégré dans leurs principes fondateurs la nécessité de s’engager dans les mouvements sociaux de défense des « sans »[4]. Cependant, les militants de ces organisations ont plutôt pensé ce soutien comme une extension du périmètre « classique » du syndicalisme, en coopérant de façon étroite avec des associations de chômeurs qu’ils ont contribué à lancer et à animer. Ce n’est qu’au début des années 2000, en raison de l’affaiblissement d’AC ![5], que le débat sur la nécessité de créer des syndicats de chômeurs dans les structures locales de Solidaires a commencé véritablement à émerger[6]. Enfin, de telles préoccupations ne se retrouvent pas du côté des autres confédérations françaises : cette question étant vue soit comme complètement extérieure au syndicalisme (c’est le cas de FO et de la CFE-CGC), soit sous l’angle de coopérations ponctuelles avec des associations locales (c’est le cas de la CFTC[7]), dans une approche entérinant une division du travail « classique » entre ce qui relèverait plutôt du champ d’action syndical ou plutôt du secteur associatif[8].
Au regard de ces différents éléments l’expérience de la CGT apparaît donc comme doublement originale. D’une part, bien que certains de ses militants se soient également investis au niveau local dans la création d’associations de chômeurs (comme l’APEIS), pensant que le cadre syndical se révélait trop rigide, la CGT a permis, en interne, la structuration progressive d’un comité de « privés d’emploi ». D’autre part, ce dernier a réussi à s’imposer, aux côtés d’acteurs associatifs, comme l’une des quatre composantes (avec AC !, l’APEIS et le MNCP), d’un mouvement social spécifique, celui des chômeurs.
Si l’idée de créer des comités de chômeurs est relancée[9] dans la CGT dès 1978, ce n’est qu’au cours des années 1980 qu’elle s’incarne dans des expériences concrètes, à commencer par celle de La Ciotat[10]. Deux facteurs contribuent alors à la réussite de cette implantation locale : la continuité entre la lutte menée pour le maintien en activité des chantiers navals à partir de 1988 et la fondation, sur la base du même collectif de salariés, d’un comité de privés d’emploi ; mais aussi la volonté de faire rempart face à la montée en puissance du Front national. D’autres comités se constituent à Marseille et dans les villes alentour au début des années 1990, avec de premières manifestations et actions pour la « prime de Noël »[11]. Le dynamisme de ceux qui vont se faire connaître comme les « chômeurs rebelles » permet le lancement en 1994 d’un comité départemental des Bouches-du-Rhône. La réussite de celui-ci sert de soubassement à la décision, prise lors du congrès confédéral de la CGT en 1995, de créer un Comité national des privés d’emploi (CNPE). C’est le moment où les collectifs de chômeurs, associations ou syndicats, acquièrent une forte visibilité en apparaissant comme une force à part entière, en particulier à Paris et à Marseille[12], dans le mouvement social de l’automne 1995.
Le CNPE ne dispose cependant pas d’implantations locales réparties sur l’ensemble du territoire, et celles qui existent demeurent fragiles en raison même de la difficulté pour les chômeurs de militer dans la durée. Il ne constitue pas, sur le plan statutaire, une fédération professionnelle au même titre que les trente-trois autres dans la CGT[13], même si, en revendiquant encore au début des années 2010 près de six mille membres, il pourrait prétendre pointer au dix-huitième rang parmi celles-ci.
Depuis sa création et surtout depuis le mouvement de l’hiver 1997-98, ce comité occupe une position singulière[14]. Dans un espace de mobilisation[15] où ses alliés comme AC !, l’APEIS ou le MNCP se sont construits en dehors des syndicats, voire en fort décalage avec eux, il est en effet le seul qui relève d’une confédération syndicale interprofessionnelle. Alors qu’il est le plus souvent assimilé par ces partenaires associatifs à la direction de la CGT, le comité des « privés d’emploi » est au contraire porteur d’une forte particularité en interne, en raison des liens qu’il entretient précisément avec les associations de chômeurs et du répertoire d’action plus radical qui est le sien, depuis les réquisitions de logements vides jusqu’à celles de nourriture dans les supermarchés[16].
L’analyse de cette position originale et des effets qu’elle engendre, sur le rapport du comité national des privés d’emploi à la CGT et de celle-ci au mouvement des chômeurs entendu de façon plus large, constitue l’objet principal de ce chapitre. Les animateurs des « chômeurs CGT » se trouvent en effet au centre de luttes tactiques et symboliques pour tenter de consolider leur place dans la confédération et de diffuser leurs revendications. À la recherche d’une légitimité qui ne leur est que partiellement reconnue, ils sont confrontés au défi de pérenniser les structures et les ressources dont ils bénéficient. Leur statut « à part » – lié au fait de s’adresser aux salariés sans emploi – les assigne à une forme de marginalité au sein de l’organisation. De ce point de vue, il apparaît intéressant de saisir en retour l’influence qu’ils parviennent, malgré tout, à exercer auprès des autres composantes de la CGT. Le fait de structurer spécifiquement les chômeurs a-t-il contribué à modifier, dans le temps, les pratiques et les représentations militantes ? Cette interrogation entre en résonnance avec des questionnements développés notamment sur le syndicalisme américain pour voir comment les stratégies de redéploiement vers des secteurs faiblement organisés du salariat – en direction par exemple des migrants ou des femmes dans les services – se sont traduites par un réagencement des formes de militantisme et des pratiques de mobilisation[17].
Cette approche qui intègre une dimension temporelle et qui permet d’interroger le devenir des organisations n’a été que peu développée jusqu’ici, en ce qui concerne les mouvements de chômeurs[18]. Les travaux proposant des éclairages sur les comités de privés d’emplois CGT ont surtout porté, en effet, sur le mouvement de l’hiver 1997-98 et se sont principalement intéressés à la singularité du positionnement de ces comités par rapport aux associations[19].
Nous nous proposons de réfléchir dans une première partie à la combinaison des différents éléments qui ont contribué, dans la CGT, à cantonner les « privés d’emplois » à un rôle d’opposant. Nous montrerons, ensuite, que l’assignation de cette étiquette contribue à maintenir ces derniers dans une position d’intériorité et d’extériorité par rapport à la confédération alors même que, malgré la faiblesse de ses moyens, le CNPE a contribué à un certain nombre de « victoires syndicales ». La place des « privés d’emplois » ne se limite pas à cette confrontation quasi permanente avec le bureau confédéral : grâce aux problématiques et aux mots d’ordre qu’ils parviennent à introduire dans la CGT, les comités exercent aussi une forme d’influence. Des mobilisations comme celle des agents d’EDF et de GDF sur le droit à l’énergie, construites par l’une des plus grosses fédérations professionnelles de la CGT, montrent que des façons de dire les enjeux et de penser la solidarité entre travailleurs avec et sans emploi circulent en interne. Nous verrons dans une troisième partie comment le CNPE, mais aussi les comités locaux, soulèvent, via leurs actions quotidiennes, la question de la multiplicité des formes de lutte et la prise en charge des problèmes liés aux situations de pauvreté et de précarité hors de l’entreprise, ce qui est une façon complémentaire d’engager une redéfinition des pratiques syndicales.
1. « Chômeurs rebelles »[20] ? De la difficulté à se défaire de l’étiquette d’opposants internes
L’histoire des relations entre le CNPE et la direction de la CGT est parsemée de tensions, voire de conflits ouverts. L’origine de ceux-ci est d’abord à rechercher dans un affichage politique assumé par l’une des figures historiques du mouvement des « chômeurs CGT » à Marseille, Charles Hoareau[21]. Communiste, opposant à la mutation qu’incarne entre 1994 et 2002 Robert Hue à la direction du PCF, C. Hoareau revendique ouvertement un double engagement partisan et syndical. Lorsque le CNPE est constitué en 1995, il en devient logiquement le premier dirigeant, au regard du poids des comités de privés d’emploi dans les Bouches-du-Rhône et des luttes emblématiques que ces derniers ont menées. En 2002, il se présente aux élections législatives sous l’étiquette des « Rouges vifs ». Or, pour la direction confédérale de la CGT de l’époque, ce type de comportement de la part d’un responsable syndical est perçu de façon négative pour plusieurs raisons. D’une part, l’équipe de Bernard Thibault souhaite prolonger la prise de distance avec le PCF engagée dès 1993 sous le mandat du précédent secrétaire général, Louis Viannet. D’autre part, les « Rouges vifs » ne se contentent pas de dénoncer l’abandon des références de classe et du marxisme par le PCF. Ils souhaitent porter la même critique au sein de la CGT afin de contrer les velléités de réformisme. Il y a donc de la part du bureau confédéral une peur de voir les conflits du PCF déteindre sur la CGT, mais aussi une volonté d’empêcher la formation d’un espace, sinon d’un courant, de contestation interne.
Bien que François Desanti, le successeur de C. Hoareau à la tête du CNPE en 1999, ne se soit pas réclamé des « Rouges vifs » et ne soit pas membre du PCF[22], il n’en a pas moins été très vite classé dans les rangs hétérogènes de la « radicalité ». Ainsi, sa fréquentation des universités d’été de la LCR suffit-elle à asseoir sa réputation de « gauchiste ». Cette opération d’ « étiquetage » est à comprendre comme l’expression, du côté des dirigeants de la centrale, d’une crainte envers tout affichage politique, ce qui les conduit à amalgamer dans un seul bloc l’ensemble des sensibilités critiques[23]. Il est d’ailleurs intéressant de voir combien, dans une organisation qui cherche à redéfinir l’espace propre du syndical et à marquer des frontières plus étanches avec le politique[24], les critères d’affiliation partisane continuent à servir paradoxalement de points de repère. Mais, plus encore, c’est la difficulté pour les animateurs des « chômeurs CGT » à se défaire d’une assignation à un rôle de contestataires qui nécessite d’être éclairée sous différents angles.
Les moments de désignation ou d’élection de représentants des différentes composantes de la CGT dans les organes de direction de la confédération sont illustratifs de ces difficultés. Au cours de ses trois mandats successifs à la tête du CNPE, entre 1999 et 2008, F. Desanti s’efforce de pacifier les relations avec la direction confédérale en se détachant de l’ombre tutélaire de C. Hoareau. Pour autant, il ne parvient pas à faire reconnaître le caractère légitime et logique d’une représentation du CNPE au sein de la Commission exécutive (CE), organe de direction de la confédération. L’un des moments où cette confrontation entre le CNPE et la direction de la CGT a été la plus visible est le 47e congrès de la confédération qui s’est tenu à Montpellier en 2003. Pour constituer la CE de la CGT, les différentes structures de l’organisation (fédérations et unions territoriales) proposent avant le congrès une série de noms. Le Comité confédéral national (CCN) – sous l’impulsion du bureau confédéral – en retient un certain nombre, qui sont ensuite soumis au vote des délégués. La procédure est assez canalisée et, bien qu’il y ait des conflits, ceux-ci sont en général réglés en amont, par des négociations successives. Les assises confédérales ne sont que très exceptionnellement le lieu où l’on affiche un désaccord en public, dans une organisation où le fait d’apparaître comme opposant est en soi discréditant.
Lors du précédent congrès confédéral, en 1999 à Strasbourg, malgré de fortes dissensions sur la candidature de C. Hoareau, trois membres du CNPE avaient été retenus pour la CE. Les assises de la CGT se tenant un peu plus d’un an après le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-98, il était difficile de marginaliser ouvertement la composante directement impliquée dans la mobilisation. Quatre ans plus tard, le contexte est différent et la direction de la CGT fait le choix d’écarter les représentants du CNPE de la CE. Contre toute attente, le conflit entre le CNPE et le bureau confédéral prend le tour d’une interpellation directe durant le congrès, échappant au contrôle de la tribune, ce qui constitue un événement assez rare dans ce type d’assises. Au nom du CNPE, c’est une militante d’un certain âge, au franc-parler populaire, qui interpelle dès le premier jour la direction de la CGT, en accusant cette dernière de vouloir exclure les représentants des chômeurs de la future CE[25]. S’imposant à la tribune bien qu’on tente de lui refuser la parole, elle demande aux congressistes de voter directement pour le candidat que propose le comité, même s’il n’a pas été retenu par la direction confédérale. Alors, dit-elle, que « la CGT est le seul syndicat à organiser les chômeurs », que des « acquis sociaux importants » ont été obtenus par les luttes, « prime de Noël, droit syndical, contenu de la loi contre les exclusions, comité de liaison ANPE », comment expliquer le fait que la candidature proposée par les privés d’emplois soit écartée ?[26]
Cette altercation est révélatrice des rapports de force qui existent entre l’équipe des « chômeurs CGT » et l’entourage de B. Thibault. La volonté d’écarter un opposant potentiel conduit la direction confédérale à prendre le risque d’un esclandre public, devant les journalistes et les observateurs du congrès, plutôt qu’à rechercher une solution négociée. Un vote extraordinaire est demandé par le CNPE, en plein congrès, sur la candidature du représentant des « chômeurs CGT ». Ce dernier, Jean-François Kiefer[27], obtient 39,4 % des voix des délégués, ce qui ne lui permet pas d’accéder à la CE, mais constitue un résultat élevé et hautement significatif si l’on prend en compte la forte discipline de vote qui règne généralement dans ce type d’assises.
« Cela a laissé des traces. Nous, il faut savoir qu’on est considéré comme les gauchistes de service. Moi, je sais que par exemple, pendant le 47e Congrès, le truc qui tournait en dehors, parce qu’ici ils disaient “il aura pas le temps”, etc., le truc qui circulait c’était : “Il est membre du Parti des travailleurs”… donc, un radical et qui était là pour foutre la merde. Il y a même eu un article dans Le Monde où ils disaient que la candidature des privés d’emploi n’avait pas été retenue parce que la personne présentée était trop radicale.»
Membre du bureau national du comité CGT des privés d’emploi et précaires, Montreuil, 5 novembre 2008, entretien avec l’auteure.
La façon dont la candidature de J.-F. Kiefer se voit disqualifiée – soit le reproche « officiel » de ne pas être assez disponible et l’accusation officieuse d’être membre d’un parti trotskyste – est à comprendre non comme une mise au ban personnelle, mais bien comme une défiance plus générale envers les animateurs des « chômeurs CGT ». Pour les responsables du CNPE, l’enjeu porte avant tout sur l’accès à des ressources, logistiques et financières, que rend possible une plus forte reconnaissance au sein de la confédération. Lors du 48e congrès confédéral de 2006, les délégués du CNPE sont mandatés pour voter le rapport d’activité (non pour manifester une forme d’opposition via l’abstention) et obtenir qu’un membre des « chômeurs CGT » intègre effectivement la CE. Le fait de ne plus apparaître nécessairement comme un élément « critique » dans l’organisation se cristallise dans une forme d’échange politique, dont l’un des termes consiste à passer d’un budget jusqu’alors directement attribué par le bureau confédéral à un système automatique de pourcentage pris sur la cotisation [28]: la direction du CNPE cherche ainsi à renforcer les moyens matériels et financiers qui sont liés à une structure demeurant atypique dans l’organisation.
Pour autant, malgré cette tentative de normalisation, la méfiance reste présente tant du côté des « privés d’emploi » que du bureau confédéral. Trois ans après les assises de Montpellier, la même porte-parole monte de nouveau à la tribune lors du 48e congrès, à Lille, pour déplorer que la question des chômeurs n’ait pas fait l’objet de la moindre mention dans le rapport d’activité. Elle insiste sur le fait que les moyens alloués par la confédération demeurent trop faibles, malgré les quelques 8 500 syndiqués que revendique alors le CNPE. Soucieux de se départir d’une image d’opposant, ce dernier renverse donc l’argumentation pour mettre en cause le soutien réel qu’apporte la CGT aux actions qu’il mène et pour mettre la confédération au défi d’organiser les salariés qui ne sont plus dans les entreprises.
Ces tensions ne sont pas sans écho au plan local. En dehors même de la configuration marseillaise, il n’est pas rare que les militants investis dans les comités locaux de privés d’emploi soient très vite perçus comme porteurs d’une forme de radicalité politique. Tel est le cas dans l’union départementale (UD) CGT du Rhône, par exemple, où un comité des chômeurs existe sur le papier, mais ne donne lieu pendant longtemps à aucune activité. Lorsque quelques militants, connus pour être des opposants à la direction fédérale du PCF, proposent de le reprendre en main en 2005, leur initiative est perçue de façon hostile par la direction de l’UD. Le fait que la démarche puisse être réellement syndicale passe au second plan. Se heurtant à une inertie volontaire de l’équipe dirigeante de l’UD, les initiateurs du nouveau collectif choisissent de créer un syndicat, d’en déposer les statuts et de le dénommer « CGT privés d’emploi et précaires ».
« Au sein de la CGT, ce qu’on nous dit au départ, c’est de ne rien faire. Parce que ça peut être qu’une source d’emmerdements. On n’est qu’une source d’emmerdements. […] Il y a trois catégories de gens [de militants dans l’UD CGT]. Il y a ceux qui s’en foutent, vraiment, qui se posent pas la question, neutres. Il y a ceux qui voient ça d’un très mauvais œil, vraiment, pour deux motifs, à la fois parce qu’il y a l’histoire, et c’est vrai que le mouvement des chômeurs, il a pesé très lourd. Il y a des gens qui l’ont vécu très mal. […] Donc euh… donc, non, au départ l’initiative, elle est absolument pas accueillie par des conseils ou des acclamations. Ça va être très compliqué. Très conflictuel, même. »
Membre fondateur du syndicat CGT des Chômeurs et précaires dans le Rhône, Lyon, mai 2007, entretien avec l’auteure.
L’extrait d’entretien est assez révélateur des multiples préventions qui accompagnent la création de collectifs de chômeurs dans la CGT, qu’elles soient donc directement politiques ou qu’elles soient liées à une forme d’incompréhension du sens de la démarche et de sa finalité.
2. Un positionnement dual, à l’origine de dissensions stratégiques et programmatiques
Outre l’histoire spécifique du CNPE, plusieurs éléments de type structurel, liés à la fois au répertoire d’action que mobilisent les « chômeurs CGT » et à leur inscription dans un espace du mouvement social qui apparaît comme distinct du champ syndical, contribuent à entretenir des tensions au sein de la CGT et à limiter les possibilités de coopération avec d’autres composantes.
En maintenant depuis le mouvement de 1997-1998 une alliance avec AC !, l’APEIS et le MNCP, le CNPE accepte en effet de s’inscrire dans une démarche bien plus « mouvementiste » que celle qui est prônée par des structures syndicales dont l’activité est, de fait, beaucoup plus institutionnalisée. Des modalités de lutte telles que les occupations ou les réquisitions (de logement vide, de nourriture, etc.), bien qu’elles ne soient pas ouvertement condamnées, sont parfois considérées comme excessives par les instances de direction de la CGT.
« On a toujours été un peu, je ne vais pas dire une “épine dans le pied de la conf’”, mais pas très loin… Ben, pourquoi ? Parce qu’on a eu des… actions un peu radicales, quoi. On a quand même, dans certains coins et même au niveau national… On est rentré dans l’Unedic, on a été au Medef… enfin, bon, ce genre de trucs. Il y a les CRS, il y a la bagarre, cela ne plaît pas là-haut [il désigne le septième étage de l’immeuble, soit la direction confédérale]… C’est un peu comme ça, on est un peu l’épine dans le pied de la conf’ ».
Membre du bureau national du comité CGT des privés d’emploi et précaires Montreuil, 5 novembre 2008, entretien avec l’auteure.
La position originale des « chômeurs CGT » contribue à les rendre distincts dans l’univers syndical et distincts dans l’univers associatif. Cette singularité se retrouve dans le discours revendicatif qui est porté par les différentes structures. Pour bien comprendre les difficultés qui entourent l’action du CNPE, il convient de rappeler que les confédérations syndicales représentatives sont impliquées dans la gestion paritaire de l’Unedic et appelées à négocier, à intervalles réguliers, le renouvellement de la convention d’assurance-chômage. Ainsi, des organisations qui, à l’exception de la CGT, ne cherchent pas à organiser les chômeurs en leur sein, décident avec les représentants du patronat des mesures à prendre pour assurer un équilibre financier du régime d’indemnisation des chômeurs, voire des contreparties qui leur sont demandées. Les associations de chômeurs – ainsi que le CNPE CGT – n’ont eu de cesse de dénoncer l’absence de porte-parole des chômeurs dans ces instances, soulevant du coup la question de la représentativité des confédérations dans ce domaine et pointant aussi les responsabilités syndicales dans la dégradation des conditions d’indemnisation.
Du côté de la CGT, la situation est particulière : c’est un membre de la direction confédérale qui assure le suivi des négociations au sein de l’Unedic, le CNPE étant cependant associé à ce suivi. Surtout, les « chômeurs CGT » tentent d’exercer une véritable activité de vigilance par rapport aux positions adoptées par le bureau confédéral. Si la CGT n’a ratifié aucune convention Unedic, le fait qu’elle ait, dès la fin des années 1990, renoué des liens relativement étroits avec la CFDT a pu contribuer à une atténuation de ses critiques par rapport à l’implication de cette dernière dans des mesures comme le Plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) ou le Contrat de retour à l’emploi (CARE) soutenu par le Medef au moment de son projet de « refondation sociale » en 2000. Moins tenu par les relations intersyndicales au sommet, le CNPE adopte un ton souvent bien plus virulent à l’encontre de la CFDT[29], qui est régulièrement mise en cause depuis 1997 par les associations de chômeurs. L’organisation se retrouve dans la rue à manifester aux côtés des associations de chômeurs à la veille des conseils d’administration de l’Unedic, ou suite aux décisions actées par les « partenaires sociaux », alors que la confédération CGT siège dans ces mêmes réunions.
De plus, des divergences entre le CNPE et le bureau confédéral de la CGT existent sur des enjeux aussi importants que les minimas sociaux, le niveau d’indemnisation du chômage et la question d’un revenu minimum garanti. La confédération CGT défend de façon assez classique l’exigence d’une revalorisation des minima sociaux, ce que le CNPE juge insuffisant, préférant l’idée d’un véritable revenu minimum garanti pour tous les demandeurs d’emploi. Si les deux structures avancent, de façon conjointe, que ces derniers devraient systématiquement être couverts par le régime d’assurance-chômage, le CNPE ne parvient pas à faire accepter au niveau confédéral la revendication d’un revenu de remplacement sans limitation de durée à hauteur de 80 % du SMIC CGT[30]. Les réticences de la direction de la CGT portent sur la place reconnue aux revenus du travail, certains responsables se montrant réticents à revendiquer un revenu de remplacement jugé trop élevé par rapport au SMIC. Une telle proposition fait, au contraire, l’objet d’un relatif consensus au sein du mouvement des chômeurs (bien qu’il y ait des débats, au sein d’une organisation comme AC !, sur un autre dispositif qui est celui du revenu universel garanti pour tous, Cf. infra). Sur cette question, la relative proximité du CNPE avec les associations de chômeurs contraste avec les dissonances que font entendre les militants CGT « privés d’emploi » au sein de la confédération.
« On est à la CGT, on ne va pas revendiquer dehors des choses que ne revendique pas la CGT. Mais il y a quand même des choses qui nous gênent. Je ne sais pas moi… Quand on dit : “faut augmenter les minima sociaux”, ça nous hérisse les poils, parce que ce qu’on veut, nous, c’est un véritable revenu de remplacement pour tout le monde, y compris pour les primo-demandeurs d’emploi. Alors, on le dit pas comme cela, parce que cela hurle quand on en parle, mais nous, on voudrait qu’on aille dans le sens de ce que proposait le CNR[31], que l’assurance-chômage devienne la cinquième branche [de la Sécurité sociale]. »
Membre du bureau national du comité CGT des privés d’emploi et précaires Montreuil, 5 novembre 2008, entretien avec l’auteure.
Cette singularité s’est doublée d’un relatif isolement du CNPE au sein de la CGT lors de séquences pourtant déterminantes pour les luttes de chômeurs. Suite à la mise en place du PARE, la campagne pour les « recalculés » en 2003-2004 a ainsi été menée avec de très faibles moyens par le CNPE. Alors que celui-ci demande l’appui des services juridiques de la confédération après le dépôt des premiers dossiers contre les Assedic, il reçoit une fin de non-recevoir et le conseil ferme d’abandonner ce terrain. S’appuyant sur l’avis de ses avocats, la direction de la CGT estime en effet que le dossier ne constitue pas une bataille syndicale « gagnable ». C’est dès lors de façon complètement autonome que le CNPE contacte d’autres avocats et dépose, en lien avec les autres associations, sept mille dossiers dans plus de soixante-dix tribunaux. Le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Marseille, le 14 avril 2004, condamne l’Assedic Alpes-Provence à rétablir les indemnités de trente-cinq allocataires radiés et à verser à chacun 1 000 euros de dommages et intérêts, ce qui constitue la première séquence d’une véritable victoire politico-juridique des « chômeurs CGT » et des associations de lutte contre le chômage. Suite à la multiplication des jugements favorables aux personnes radiées, le ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, annonce en mai 2004 le rétablissement dans leurs droits de tous les chômeurs « recalculés ».
« Et là, c’est devenu l’affaire subitement de toute la CGT. Parce que c’était une victoire politique qui redorait le blason de la CGT chômeurs, mais aussi de toute la CGT. Parce que dans les médias, partout, chaque fois que Bernard Thibault passait, que Frédérique Dupont passait, que Maryse Dumas[32] passait, ils parlaient de ça, parce que c’était un truc… On avait réussi à faire reculer le gouvernement ! »
Ancien membre du bureau national du CNPE, Paris, 6 novembre 2008, entretien avec l’auteure.
Pour le CNPE, le recul du gouvernement, qui se double en mai 2004 d’une suspension de la réforme de l’allocation de solidarité spécifique (ASS)[33], constitue un véritable point d’appui. Il sert à démontrer que la mobilisation collective peut avoir une efficacité, alors même que la CGT est plutôt confrontée à la gestion de reculs sociaux face à un gouvernement de droite, à l’image du mouvement social contre la réforme des retraites en 2003. Il atteste aussi de l’impact du comité national sur le terrain revendicatif. Lors de la 8e conférence nationale de celui-ci, en décembre 2008, Roger Yvars, l’un des responsables de l’organisation, explique ainsi dans son rapport que la prime de Noël a concerné 1 500 000 personnes, que les « recalculés » sont plus d’un million et que l’abandon de la réforme de l’ASS a touché également quelque 500 000 bénéficiaires[34]. Les « privés d’emploi » CGT montrent ainsi qu’ils sont capables d’agir pour une fraction importante du salariat, ce qui est une façon de prendre la confédération au piège de son propre discours sur la nécessaire représentativité syndicale, au moment où elle n’organise plus qu’une très faible minorité des salariés.
Malgré les succès remportés par le CNPE sur la période qui va de 1995 à 2008, les relations demeurent tendues avec le bureau confédéral. Cette guerre de position est visible au quotidien[35] mais ne donne cependant pas lieu à un simple statu quo, dans la mesure où il est quand même possible de constater – au regard de la reconnaissance institutionnelle, des moyens alloués, ou encore des conditions d’accès aux instances de décision interne – une forme de pérennisation et de renforcement de l’organisation des chômeurs dans la CGT. Quelques revendications du CNPE sont mêmes reprises par la CGT : depuis la fin des années 2000, celle-ci propose ainsi que les primo-demandeurs d’emploi soient indemnisés à 80 % du SMIC (officiel) avec un « revenu d’insertion » pris en charge par l’État.
Si des lignes de clivage existent au sein de la CGT, d’autres séparent le CNPE des associations de chômeurs, et en particulier d’AC !. De façon plus ou moins explicite, les militants CGT reprochent à cette dernière d’avoir mené une « critique du travail à outrance », la conduisant à se désintéresser de la construction d’alliances potentielles entre salariés en emploi et ceux privés d’emploi. Critiqué au sein de la CGT sur le fait de revendiquer un revenu d’indemnisation des chômeurs égal au SMIC, le CNPE ne peut adhérer aux discussions sur un revenu universel et garanti pour tous, totalement détaché de l’emploi salarié, tel que le conçoivent certaines composantes d’AC ![36]. La crise que traverse cette organisation à partir de 2005 est d’ailleurs considérée par certains responsables des « chômeurs CGT » comme le résultat de l’influence croissante de la CNT et des courants libertaires. Les difficultés à se faire entendre dans la CGT ne poussent donc pas le comité à se rapprocher davantage des autres organisations de chômeurs, bien que des réunions régulières[37] existent depuis la mobilisation de l’hiver 1997-1998.
3. Une influence diffuse : de la revendication des droits au combat syndical hors de l’entreprise
Les relations conflictuelles avec le bureau confédéral sont loin d’épuiser la réalité de l’implantation et de l’influence des « privés d’emploi » dans l’ensemble de la CGT. Bien que l’identification à un rôle d’« opposant interne » soit dissuasive pour un certain nombre de fédérations et d’UD, qui ne souhaitent pas afficher de relations trop étroites avec le CNPE ou qui ne font rien pour faire exister des comités locaux[38], les luttes portées par les chômeurs ont d’une certaine manière marqué l’organisation dans sa pluralité.
Cette influence ne provient qu’indirectement de l’implantation des comités dans les UL et dans les UD, bien que cela puisse constituer, dans certains cas, un facteur déterminant. L’importance numérique des « chômeurs CGT » demeure en effet limitée. Le nombre d’adhérents du CNPE suit d’ailleurs une courbe fortement dépendante de la visibilité des actions menées et de leur réussite. Si un pic est atteint fin 1999, avec près de 11 000 syndiqués – grâce à la popularité de la campagne sur la prime de Noël – et qu’un nouvel afflux correspond à la victoire des « recalculés »[39], le nombre d’adhérents avoisine ensuite les 6 000-7 000. Surtout, les comités ne sont pas implantés dans tous les départements et, dans la grande majorité des cas, ont des effectifs inférieurs à cinquante personnes[40].
Alors qu’un des axes de bataille de la direction confédérale de la CGT consiste à inciter les « chômeurs CGT » à s’ouvrir formellement aux autres structures de l’organisation, en intégrant des représentants de diverses fédérations et UD dans leur direction[41] – de façon à « normaliser » le CNPE en quelque sorte – il paraît important de dépasser cette seule dimension organisationnelle. Des rapprochements se sont en effet opérés avant tout à partir des modes d’action et d’un travail de mise en forme de revendications sur les droits.
Sur le plan chronologique, à la fin des années 1990, la première organisation professionnelle de la CGT qui entretient des liens avec le CNPE et avec qui les militants se retrouvent au sein des mobilisations de chômeurs est la Fédération des finances. Ce rapprochement se construit en raison d’une implication précoce, au regard du reste de la CGT, de cette fédération dans la mouvance altermondialiste, d’abord dans le contexte de lutte contre l’AMI[42], ensuite lors de la phase de création d’ATTAC[43]. À travers son implication progressive dans des actions « coup de poing », comme l’occupation de sièges de grands groupes financiers, la Fédération des finances prend l’habitude de côtoyer les comités de chômeurs et d’apporter son aide experte sur les dossiers de surendettement. Il est remarquable que cette coopération se noue en dehors de l’espace organisationnel de la CGT et soit rendue possible parce que les deux composantes, pour des raisons différentes – la montée de la thématique altermondialiste d’un côté, la construction progressive d’un mouvement de chômeurs unitaire après 1995 de l’autre – acceptent de nouer des relations ponctuelles avec le secteur associatif entendu de façon large.
Les autres formes de collaboration avec des fédérations professionnelles de la CGT (à l’instar des organismes sociaux ou de l’ANPE) sont directement en lien avec des opérations menées par les comités de chômeurs. Là encore avec les autres associations, les « privés d’emploi » CGT se lancent dans une campagne de revendication de dix droits fondamentaux, considérés comme inaliénables[44]. Pour cela, le CNPE impulse une série d’actions visant à chaque fois des lieux symboliques : occupation des gares et des dépôts de bus pour réclamer le droit aux transports gratuits, occupation des agences de l’ANPE pour le droit au travail, occupation des agences d’EDF pour le droit à l’énergie, occupation de musées pour le droit à la culture, etc. La plupart de ces opérations sont menées sur la base d’un soutien minimal de la part des structures syndicales CGT implantées dans les secteurs concernés. En un mot, les actions sont « couvertes » par les syndicats professionnels, mais elles ne font pas l’objet d’une préparation commune et d’une réflexion partagée sur leur sens.
De ce point de vue, l’exemple de la Fédération énergie de la CGT est particulièrement éloquent. Lorsque les comités locaux de « privés d’emplois » CGT occupent des agences d’EDF dans le sillage du mouvement de 1997-98, ils le font d’abord pour mettre en place des bureaux d’emploi fictifs afin de démontrer que des créations de poste sont possibles dans les services publics. Un tel objectif entre complètement en résonance avec les revendications que portent les syndicats d’EDF. Il s’inscrit aussi dans une démarche de prise en charge des problèmes concrets et immédiats que connaissent les personnes en situation de chômage. Il s’agit, sur un territoire donné (un quartier ou une ville), de s’opposer aux multiples conséquences de la pauvreté : empêcher les saisies d’huissier ou les expulsions, rétablir le courant, etc. Ce type d’opérations, menées hors de l’entreprise, relève à la fois de l’illégalisme sectoriel analysé par Daniel Mouchard[45] et de la revitalisation d’une forme de syndicalisme, héritier indirect des Bourses du travail, qui déplace les frontières de ce qui est aujourd’hui considéré comme un moyen d’action légitime.
Or, pour les syndicalistes CGT d’EDF, cette revendication en termes de « droit à l’énergie » est complètement nouvelle. Interpellés par les comités locaux de « chômeurs CGT », qui rencontrent les directions d’agence après avoir rétabli le courant dans des foyers privés d’électricité et qui leur demandent d’appuyer ces démarches, ces militants vont peu à peu se réapproprier cette modalité d’action et en faire un élément de lutte distinctif dans le cadre de leur propre mobilisation. Si des coupures ciblées ou le passage de tarif de nuit en plein jour dans des quartiers populaires sont des pratiques courantes lors de grèves, ils vont faire des « opérations Robin des Bois » – soit du rétablissement du courant dans des foyers privés d’électricité – une des modalités centrales de leur lutte contre le changement de statut de l’entreprise en 2004[46]. L’influence des « chômeurs CGT » ne se limite pas ici au répertoire d’action, elle se manifeste aussi dans la façon de reformuler les enjeux liés à la défense d’une entreprise publique. Défendre le droit à l’énergie permet d’énoncer la finalité de la mobilisation en des termes généraux, qui concernent l’ensemble de la société, et non plus seulement en des termes catégoriels, liés aux enjeux internes de l’entreprise. La façon de poser la question du droit à l’énergie irrigue les syndicats en pleine phase de mobilisation au sein d’EDF et de GDF, mais ne les dispose pas nécessairement à coopérer avec les collectifs de chômeurs. Ainsi, lors du mouvement du printemps 2004, les opérations de remise de courant sont menées dans plusieurs villes, à Bordeaux par exemple, entre militants des comités, mais aussi d’AC ! ou de l’APEIS. Si de telles initiatives se comptent par dizaines, dans d’autres lieux, l’influence des thématiques portées par les chômeurs ne se traduit généralement pas par des rapprochements dans l’action syndicale.
Pour autant, l’une des dynamiques qu’introduisent les comités locaux et le CNPE consiste à poser la nécessité d’une intervention syndicale en dehors du périmètre de l’entreprise, face aux problèmes quotidiens que connaissent les salariés privés d’emploi ou en situation de précarité. La démarche se veut d’ailleurs très pragmatique. Il s’agit d’assurer à n’importe quel individu des conditions d’existence minimales, de faire face aux besoins les plus urgents, tout en étant très éloignée d’une approche en termes de services. En participant à la création d’associations comme « Droit à l’énergie, Stop aux coupures ! »[47], en installant des permanences dans les foyers Sonacotra ou encore en menant des campagnes de réquisition de logements, les comités locaux de « chômeurs CGT » les plus actifs contribuent ainsi à renouveler les modalités de la lutte syndicale. En se focalisant sur le vécu des salariés qu’ils entendent défendre, ils privilégient un syndicalisme d’action directe et contribue par ailleurs à désenclaver la catégorie de chômeurs pour poser un continuum avec celle de précaires. Ce positionnement contribue à la fois à les marginaliser dans la CGT et à faire d’eux des aiguillons revendicatifs, beaucoup plus en lien avec d’autres types de mouvements sociaux. que bien des pans de l’organisation à laquelle ils appartiennent. L’intervention de F. Desanti, dans son rapport d’activité lors de la 8e conférence du comité national, en décembre 2008, reflète bien la façon dont cette situation est théorisée :
« Nous sommes artisans d’un nouveau combat syndical puisque celui-ci sort de notre lieu traditionnel d’intervention : l’entreprise. Certains ont voulu y voir une contradiction, alors qu’il s’agit d’un processus complémentaire. Le retour à l’entreprise et l’éradication du chômage restent notre objectif affiché et fondamental. De même que la réponse et la satisfaction des besoins de la population, en particulier lorsque celle-ci est démunie et dépourvue de ses droits élémentaires, ne doit souffrir d’aucune frontière, pas même celle des murs de l’entreprise »[48].
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L’influence des « chômeurs CGT » est sans doute d’abord à rechercher du côté de ce déplacement des frontières, dans la redéfinition en actes du périmètre de l’action syndicale. Les réticences des équipes dirigeantes de la CGT à son égard limitent cependant les effets qu’elle pourrait produire dans l’organisation, à travers notamment la mobilisation de sans-emploi. Cette incompréhension contribue à ce que les problèmes soulevés par les actions de « chômeurs CGT » ne soient pas discutés de façon collective et mis en regard d’autres expériences (par exemple celle des saisonniers ou des intérimaires), mais le plus souvent restitués comme autant de points de clivage. Le maintien de ces tensions montre combien il ne suffit pas pour un syndicat de vouloir organiser les chômeurs pour que ces derniers trouvent complètement leur place dans les structures internes et parviennent à les transformer. En même temps, après plus de quinze ans d’activité, le CNPE a indéniablement réussi à faire progresser, même à la marge, certaines de ses revendications. Son rôle et son influence, les conséquences qui sont liées à ses activités dans la CGT, sont donc plutôt à comprendre comme autant de dimensions culturelles[49] qui irriguent, de façon très progressive et non linéaire, les pratiques et les représentations des militants.
[1] En 1974, la CFDT a ouvert des sections de chômeurs à l’intérieur de certaines unions locales, mais l’expérience s’est rapidement arrêtée. Sur ce point, voir la contribution de Maria-Teresa Pignoni dans ce volume.
[2] Sur l’analyse du rapport des organisations syndicales françaises à la fois aux chômeurs et aux mouvements de chômeurs, cf. Didier Demazière, Maria-Teresa Pignoni, Chômeurs : du silence à la révolte, Paris, Hachette, 1998.
[3] Il est d’ailleurs à noter que le traitement réservé aux chômeurs et notamment l’appréciation portée sur le Plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) mis en place en 2001 ont joué un rôle important dans les tensions entre le courant oppositionnel dans la CFDT et la direction de celle-ci. Cf., Sophie Béroud, « À l’école de la dissidence ? Les usages de la formation syndicale par l’opposition interne au sein de la CFDT du début des années 1980 à 2003 », Le Mouvement social, 2011/2, n° 235, p. 137-150.
[4] Annick Coupé et Anne Marchand, Syndicalement incorrect. Sud-PTT, une aventure collective, Syllepse, 1998.
[5] Valérie Cohen, « Transformations et devenir des mobilisations collectives de chômeurs », Les Mondes du travail, n°6, septembre 2008, p. 91-102. Voir également la contribution de Valérie Cohen dans ce volume.
[6] Un syndicat de chômeurs et précaires a ainsi été créé à la fin des années 2000 au sein de Solidaires Basse- Normandie et le sujet a été abordé lors du congrès national de 2011.
[7] Germain Bertrand, Chômeurs : le syndicalisme au défi, l’expérience de la CFTC, Éditions Arguments, Bureau d’étude de la CFTC, 2001.
[8] Sur l’approche de cette division du travail entre syndicats et associations : Selma Bellal, Thomas Berns, Fabrizio Cantelli, Jean Faniel, coord., Syndicats et société civile : des liens à (re)découvrir, Bruxelles, Editions Labor, 2003 ; Danielle Tartakowsky, Françoise Tétard, dir, Syndicats et association : concurrence ou complémentarité ? , Rennes, PUR, 2006.
[9] Des précédents historiques ont existé dans les années 1930 via l’action de la CGT-U et du PCF. Cf. Emmanuel Pierru, « Mobiliser ‘la vie fragile’. Les communistes et les chômeurs dans les années 1930 », Sociétés contemporaines, n°65, 2007, p. 113-145.
[10] Daniel Mouchard, « Les ‘Sans-emploi’ », dans Xavier Crettiez, Isabelle Sommier (dir.), La France rebelle, Paris, Michalon, 2006, p. 331-333.
[11] C’est le reversement du reliquat du fonds social des Assedic en fin d’année aux allocataires qui est revendiqué au travers de ladite prime.
[12] Sophie Béroud, Jacques Capdevielle, « Des cheminots aux traminots, l’actualisation de la tradition marseillaise », dans Sophie Béroud, René Mouriaux (coord.), Le souffle de décembre. Le mouvement de décembre 1995, continuités, singularités, portée, Paris, Syllepse, 1997, p. 59-79.
[13] http://www.cgt-chomeurs.fr/Pages/qui/qui.htm. Le refus de devenir une fédération est défendu par les responsables des « chômeurs CGT » en raison du caractère transitoire du chômage. Désingulariser la structure reviendrait à entériner le chômage comme un état professionnel durable. On trouve les mêmes débats du côté de l’Union syndicale de l’intérim (USI) dans la CGT. Cf. Sébastien Grollier, « Quelle syndicalisation des travailleurs de l’intérim ? », Savoir/Agir, n° 12, 2010, p. 27-33
[14] Sophie Maurer, Emmanuel Pierru, « Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998. Retour sur un miracle social », Revue française de science politique, vol. 51, n° 3, juin 2001, p. 387.
[15] Pour reprendre ici la notion d’espace des mouvements sociaux telle que la définit Lilian Mathieu en la différenciant notamment de ce qui relève du champ syndical. Cf. Lilian Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, Broissieux, Éditions du Croquant, 2012.
[16]Daniel Mouchard, « Les mobilisations des ‘sans’ dans la France contemporaine : l’émergence d’un radicalisme autolimité’ ? », Revue française de science politique, vol. 52, n° 4, août 2002, p. 425-447.
[17] Lowell Turner, Harry Katz, Richard W. Hurd (éd.), Rekindling the Movement. Labor’s Quest for Relevance in the Twenty-First Century, Ithaca, Cornell University Press, 2001. Voir également Adrien Thomas, « Universitaires engagés et nouveaux cadres syndicaux aux États-Unis : une alliance pour faire face au déclin des syndicats », Genèses, n° 84, 2011, p. 127-142.
[18] Nous nous inspirons notamment des perspectives d’analyse ouvertes sur AC ! par Valérie Cohen dans « Transformations et devenir des mobilisations collectives de chômeurs », op. cit.
[19] Jean Faniel, « Chômeurs en Belgique et en France : des mobilisations différentes », Revue internationale de politique comparée, vol. 11, n° 4, 2004, p. 493-506 ; Sophie Maurer, Emmanuel Pierru, « Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998. Retour sur un miracle social », op. cit.
[20] L’appellation « chômeurs rebelles » provient d’un usage militant au sein de la CGT. On la trouve notamment sur des autocollants et des affiches édités par le Comité national des Privés d’emploi et par les comités locaux. Cette dénomination est d’ailleurs bien plus répandue, en interne, que la référence au CNPE.
[21] Charles Hoareau, La Ciotat. Chronique d’une rébellion, Paris, Messidor-Éditions sociales, 1992 ; Charles Hoareau, « Marseille 97-98 », Les Temps modernes, n° 600, 1998, p. XXX-XX.
[22] La trajectoire syndicale de F. Desanti se distingue de celle de C. Hoareau : il vient d’une union locale (UL) en région parisienne – non du « bastion » fondateur des Bouches-du-Rhône – et du secteur de la presse. Autre différence : il n’a pas entamé sa carrière militante par une longue lutte pour le maintien de l’emploi sur un site industriel.
[23] Cette critique étant donc aussi adressée à des militants communistes. Cf. Julian Mischi, « Pour une histoire sociale du déclin du parti communiste », dans Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 89.
[24] Sophie Béroud, « Le mouvement syndical au miroir des élections de 2007 : les redéfinitions complexes du rapport au politique », La Pensée, n° 349, janvier-mars 2007, p. 111-121.
[25] Cf le compte-rendu intégral in Sophie Béroud, « 47e Congrès de la CGT », Liaisons Sociales (quotidien), n° 57/03 du 13 août 2003.
[26] Nous nous permettons ici de citer nos notes d’observation, rédigées lors du 47e Congrès confédéral à Montpellier, le 27 mars 2003 : « Suite à la présentation des choix du CCN par Bernard Maître, des délégués demandent immédiatement la parole pour présenter des objections. Anita Menendez, au nom du Comité national des privés d’emploi, émeut profondément la salle en parlant « d’erreur politique » de la CGT et de véritable abandon des populations les plus démunies. Elle s’interroge sur les raisons d’un choix aussi brutal un an après le séisme du 21 avril [2002]. (…) Son intervention est ovationnée par les délégués qui se mettent debout. Ces applaudissements déclenchent, en retour, des sifflements qui émanent de l’étage supérieur du Palais des Congrès de Montpellier, les fauteuils du premier balcon ayant été réservés aux membres du CCN. »
[27] J.-F. Kiefer devient en décembre 2008 le 3e secrétaire général du CNPE. Il n’a jamais connu de période de chômage. Salarié chez Peugeot-Sochaux, il est d’abord membre de son syndicat, puis secrétaire de l’UL de Montbéliard qu’il dirige pendant douze ans. C’est en raison de ses responsabilités dans l’UL qu’il s’intéresse au comité local des privés d’emploi et participe à leurs actions. Il commence à prendre des responsabilités au sein du comité national au cours des années 2000 (il s’occupe notamment du journal Réactif).
[28] Entretien avec un membre du bureau national du CNPE, Congrès de Lille, 22 avril 2006.
[29] Isabelle Mandraud, Caroline Monnot, « Les chômeurs CGT critiquent Nicole Notat et placent Bernard Thibault en porte-à-faux », Le Monde, 20 mai 2000.
[30] La CGT revendique un salaire minimum supérieur au SMIC légal, soit 1 700 euros bruts en 2012.
[31] Conseil national de la résistance.
[32] Toutes les deux sont alors membres du Bureau confédéral de la CGT.
[33] Décidée par le gouvernement Raffarin (2002-2005), la réforme de l’ASS introduisait une limitation de durée dans le versement de celle-ci, fixée à 3 ans pour les personnes en bénéficiant déjà et à deux ans pour les nouveaux bénéficiaires. Vécue comme une atteinte aux droits des chômeurs (en premier lieu ceux non indemnisés par l’Unedic), cette réforme a été suspendue par le Président Chirac, le 1er avril 2004, à la veille d’une renégociation de la convention Unedic, sans doute pour ne pas ouvrir deux fronts en même temps.
[34] Réactif (journal du comité national CGT de lutte et de défense des chômeurs), n° 48, janvier-février-mars 2008, p. 12.
[35] L’un des responsables nationaux actuels nous a ainsi expliqué qu’il ne fait jamais appel au service de communication de la confédération pour envoyer les communiqués du comité des privés d’emploi. Disposant de son propre réseau de presse, il informe après-coup la confédération du contenu des messages, « parce que s’ils ne veulent pas que l’article sorte, ils ne vont pas l’envoyer ». Entretien avec l’auteure, Montreuil, 6 novembre 2008.
[36] Voir les contributions de Valérie Cohen et de Lilian Mathieu dans ce volume.
[37] Ces réunions se tiennent une fois par trimestre.
[38] La relation joue dans les deux sens, des structures critiques de la confédération n’hésitant pas, au contraire, à mettre en avant « leur » comité de chômeurs, telle l’UD des Bouches-du-Rhône.
[39] Nous nous appuyons ici sur les données présentées lors de la 8e conférence nationale des « privés d’emploi CGT », en décembre 2008.
[40] Au début des années 2000, UD disposent d’un comité de chômeurs qui dépasse les 500 adhérents : les Bouches-du-Rhône, le Haut-Rhin et Paris. Dix ans plus tard, seules les Bouches-du-Rhône se maintiennent à ce niveau. Dans quinze UD, le comité oscille entre 101 et 500 adhérents.
[41]À la veille de la 8e conférence du CNPE en 2008, la direction confédérale de la CGT souhaite ainsi que douze « extérieurs » (soit des représentants d’autres fédérations professionnelles ou UD) soient intégrés au conseil national du CNPE. Après moult tractations, l’équipe d’animation de ce dernier décide de coopter non pas douze, mais six représentants de fédérations et d’UD, qu’elle choisit au regard de leur pertinence avec les problèmes rencontrés par les chômeurs. Les militants retenus proviennent de la Fédération des organismes sociaux, de l’ANPE, de la Fédération de la santé, de la Fédération du commerce (« pour la lutte contre la précarité ») et de deux UD.
[42] L’accord multilatéral sur l’investissement, en négociation à partir de 1995 dans le cadre de l’OCDE, prévoyait une très forte libéralisation des conditions d’investissement des firmes multinationales sur les territoires des pays signataires. Cf. Daniel Mouchard, « Le creuset de la mobilisation anti-AMI de 1998 », dans Éric Agrikoliansky, Olivier Fillieule, Nonna Mayer (dir.), L’altermondialisme en France. Genèse et dynamique d’un mouvement social, Paris, Flammarion, 2005, p. 317-337.
[43] Sophie Béroud, Georges Ubbiali, « La CGT entre soutien distancié et refondation de l’activité internationale », dans Éric Agrikoliansky, Olivier Fillieule, Nonna Mayer (dir.), op. cit., p. 291-316.
[44] Il s’agit, selon la présentation sur les pages web du CNPE, et sans que l’ordre n’y soit hiérarchisé, du droit au travail, aux vacances, à des moyens décents pour vivre, aux transports, au logement, à la dignité, à la formation, à la santé, à la famille et à la culture. http://chomeurs-cgt.fr/spip.php?rubrique43
[45]Daniel Mouchard, « Les mobilisations des “sans” dans la France contemporaine : l’émergence d’un “radicalisme autolimité” ? », op. cit.
[46] Sophie Béroud, Les Robins des bois de l’énergie, Paris, Le Cherche midi, 2005.
[47] La première association est lancée en 2004 à partir du département de la Gironde. Son objectif consiste à maintenir et à médiatiser des opérations « Robins des Bois » sur tout le territoire. Loin de s’implanter de manière uniforme, outre la Gironde, elle est surtout active en Dordogne, en Loire-Atlantique, dans le Rhône et en Seine-Maritime.
[48] Réactif (journal du comité national CGT de lutte et de défense des chômeurs), n° 48, janvier-février-mars 2008, p. 4.
[49] On pourrait établir ici des liens avec la façon de saisir les effets produits par les mouvements sociaux, si ce n’est qu’il s’agit de les penser ici en interne, dans une organisation donnée. Cf. Didier Chabanet, Marco Giugni, « Les conséquences des mouvements sociaux », dans Olivier Fillieule, Éric Agrikoliansky, Isabelle Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010 p. 145-161.
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