L’article « Changer la loi de 2008 » est publié sur le site du mouvement Ensemble! (Mouvement pour une alternative à gauche écologique et solidaire ). Nous en extrayons un passage défendant la nécessité de défendre une élection interprofessionnelle de représentativité, et notamment de rétablir les élections à la Sécurité sociale, mais aussi la nécessité d’une nouvelle donne syndicale unitaire. Cette proposition fait écho à la tribune de Jacques Julliard parue dans Le Monde (6 avril 2017), intitulée « La CFDT doit lancer une véritabe refondation sociale« , et dont nous mettons aussi des extraits.
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- Extraits :
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Quel est le bon échelon de mesure ?
Le syndicalisme commence par l’action élémentaire de défense collective, la lutte contre la concurrence, pour la justice, l’égalité, la dignité. Un syndicat conquiert sa légitimité d’abord sur ces questions, et pas d’emblée sur des projets de société. Il est donc normal qu’une représentativité soit en quelque sorte enracinée dans le quotidien, et donc les élections à ce niveau ont du sens.
De ce point de vue, il est certain que le syndicalisme de lutte est en retard d’élaboration et de planification d’une méthode de travail efficiente pour renouveler son rapport au salariat. Il ne s’agit sans doute pas de copier les modèles CFDT. Mais inversement de ne pas se satisfaire d’un réflexe anti-CFDT qui ne fait rien avancer. Beaucoup peuvent s’interroger sur les décisions CGT non suivies d’effets en matière de plan de syndicalisation, ou d’un manque de souplesse ou de réactivité face à un jeune salariat qui aspire à des méthodes innovantes, s’informe par les réseaux sociaux, ou ne comprend pas des lourdeurs organisationnelles d’un autre âge. Si le dernier congrès de la CGT a été un congrès enthousiaste pour redonner une fierté combative, il a peu avancé sur les raisons qui aboutissent à des baisses de syndicalisation et de résultats électoraux dans les « bastions » traditionnels de la centrale (Air France, SNCF…). Quant à FO, son opacité sur les questions d’effectifs est légendaire… Seule l’Union syndicale Solidaires progresse régulièrement en effectifs, mais cela ne perce pas en résultats électoraux interprofessionnels, ce qui montre la difficulté d’un débat ne pouvant se réduire au pur volontarisme.
Néanmoins, la mesure complète de la force syndicale, si elle s’enracine dans le local, ne peut éviter la dimension générale. Sauf à réduire le syndicalisme à un rôle d’accommodement de décisions essentielles prises en « haut lieu ». Les mêmes raisons qui ont conduit à refuser l’inversion de la hiérarchie des normes en 2016, ou qui conduisent à refuser la prééminence de la négociation décentralisée favorable au patronat, doivent aussi conduire à exiger un niveau interprofessionnel de la mesure du poids syndical. Il s’agit en effet de donner tout son sens politique à la dispute hautement signifiante sur ce terrain. Les libéraux veulent des syndicats fortement représentatifs, mais pour laisser à des professionnels de la négociation collective la maitrise des cohérences politiques. Emmanuel Macron par exemple veut à la fois nationaliser l’assurance chômage, imposer la retraite par points (pour échapper une fois pour toute à la dispute sur le partage de la valeur), et cajoler des syndicats négociant les bons compromis sur le terrain. Même la CFDT se méfie de ce candidat sur ce plan, car la fonction CFDT anticipatrice de « l’intérêt général » en serait amoindrie.
Il est donc probable que, dès la négociation de 2008 sur la future loi de représentativité (loi Bertrand-Sarkozy), il était déjà dans les tuyaux -même si cela n’a pas été rendu public- que les élections prudhommales allaient être remises en cause dans leur portée interprofessionnelle. Ces élections mobilisaient peu, a-t-on pu dire à satiété. Oui : environ 27% la dernière fois contre 42% en moyenne annoncé le 31 mars dernier sur le recollement des élections entre 2013 et 2016, et 60% si on ne compte que les entreprises de plus de 11 salariés. Certes, mais ajoutons la précision suivante : les élections prudhommales avaient pour corps électoral la totalité du salariat privé, alors que les résultats publiés le 31 mars ne concernent, pour les entreprises de plus de 11, que celles où des élections professionnelles ont eu lieu : on mesure là combien tous ces chiffres mélangent des réalités très différentes.
Résultat final ? En 2014, « on » en a profité (le ministre Rebsamen !) pour supprimer purement et simplement les élections prudhommales plutôt que de voir comment les améliorer. A coup sûr, le syndicalisme interprofessionnel n’en sort pas gagnant.
Allons plus loin : la meilleure mesure du poids politique du syndicalisme interprofessionnel serait d’en revenir aux rétablissements des élections à la Sécurité sociale, annulées en 1967, et rétablies une fois en 1983 avant de tomber dans l’oubli. Nier au syndicalisme tout droit de gestion effective dans la Sécurité sociale, au profit de la mainmise paritaire ou parlementaire (plan Juppé 1995), dégrader sans arrêt le poids du salaire socialisé, valoriser les négociations d’entreprises comme seules signifiantes, tout cela participe d’une stratégie très organisée (par l’Etat) de dépolitisation sociale. Et donc de déconstruction d’un syndicalisme assumant la portée émancipatrice et globale de son action.
Rassembler le syndicalisme d’émancipation
La simple description des défis à surmonter montre l’ampleur des forces à rassembler pour inverser le cours des choses. L’année 2016 a vu agir une intersyndicale nationale de mars à septembre, soit plus de six mois. Qu’en reste-t-il ? Quelles sont les raisons qui poussent FO à ne pas rester dans le train lorsque l’intersyndicale amoindrie publie des propositions nouvelles sur le droit du travail (document rendu public le 30 mars : « C’est quoi ce travail ? », signé par CGT, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL)? Préserver quelle « indépendance » et par rapport à qui ?
Autres questions : pourquoi les contacts établis depuis des années entre CGT et FSU sont quasiment au point mort et ne font l’objet d’aucun vrai débat public ? Pourquoi des idées déjà lancées dans des congrès de la CGT comme des campagnes intersyndicales de syndicalisation (congrès de Grenoble en 1978 ! mais aussi celui de Strasbourg en 2009) ne sont-elles pas mises en œuvre ? Le « syndicalisme rassemblé » n’a pas disparu des références CGT, mais il est beaucoup contesté, sans doute à juste titre. Mais alors comment inventer autre chose ? Les Utopiques N°4 (revue de réflexions de l’Union syndicale Solidaires), ouvre un important dossier sur l’unité et les conditions de sa réalisation, mais réouvre aussi l’hypothèse d’un syndicalisme unifié (article écrit par Théo Roumier de SUD Education et Christian Mahieux, de SUD Rail et intitulé : « Invoquer l’unité, oui… la faire c’est mieux »). A notre connaissance, c’est nouveau dans Solidaires. Mais cela témoigne peut-être d’une situation où la conscience progresse sur un constat évident : aucune organisation parmi celles qui étaient à la pointe de l’action en 2016 ne peut prétendre à elle seule répondre au besoin de syndicalisme renouvelé.
Rassemblement et propositions innovantes vont ensemble. Ce débat concerne au premier chef les syndicalistes, mais toutes celles et ceux qui agissent pour l’émancipation sont concernés.
Jean-Claude Mamet […]
- La Tribune de Jacques Julliard : « La CFDT doit lancer la refondation syndicale »
Pour l’historien Jacques Julliard, dans une tribune au « Monde », il incombe à la centrale réformatrice, forte de ses succès auprès des salariés, d’être le pivot du syndicalisme de demain dont la France a besoin.
LE MONDE | • Par Jacques Julliard (Historien et essayiste)
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« La CGT devancée par la CFDT dans les élections professionnelles : le « sorpasso », comme disent les Italiens, a eu lieu ! Il ne s’agit que d’un symbole, et les deux confédérations restent de force comparable. Mais les symboles sont rarement des figures inertes. Non contents de refléter l’histoire, ils la précipitent et souvent l’amplifient.
La CGT fait partie du socle sociologique de la société française. Après des débuts difficiles (1895), sa fusion avec la fédération des bourses du travail fit d’elle, en 1902, une organisation hégémonique, que ni les coups durs (l’échec des grandes grèves de 1906, 1920, 1947-1948) ni les scissions (CGTU en 1922, Force ouvrière en 1948) ni même, à partir des années 1970, l’effondrement du Parti communiste français longtemps sa puissance tutélaire, n’étaient parvenus à déloger de sa position dominante. Quelque chose lentement se meurt qui a été grand.
Le succès de la CFDT, non sur les marges, non chez les employés, les cadres ou les fonctionnaires, mais au cœur même de la forteresse ouvrière, est l’aboutissement d’une longue marche, commencée en 1919 lors de la fondation de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), confirmée dans la participation au Front populaire et à la Résistance et explicitée dans ses objectifs lors de la « déconfessionnalisation » (1964).
Travaillisme de gauche et dissidence de SolidarnoscA la Libération, face à une CGT dominée par un PC stalinien, la confédération se définit clairement comme une force antitotalitaire ; pendant la guerre d’Algérie, comme une force anticolonialiste ; en 1968, comme une force autogestionnaire. Progressivement, l’organisation reprend à son compte et incorpore, sous le nom de socialisme démocratique, ce qu’il y a de plus authentique dans la tradition de l’autonomisme ouvrier, jalonnée par le proudhonisme et la Commune de Paris, le syndicalisme d’action directe et la Charte d’Amiens (1906), le travaillisme…
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« Compte tenu de leur faiblesse, les organisations représentatives sont trop nombreuses; leurs divisions ne s’expliquent que par les conflits passés, incompréhensibles pour les nouvelles générations. Que signifie aujourd’hui la division entre CFDT et CFTC? Ou encore entre CGT et FO? Mais ce sont aussi le périmètre, les objectifs et les méthodes du mouvement social qui sont à revoir en profondeur. Ne nous le dissimulons pas : le syndicalisme, sous la forme qu’il a prise à la fin de 19ème siècle, est ajourd’hui à bout de souffle.
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