Ci-dessous la prise de position du Syndicat des avocats de France (SAF) sur les indemnités prudhommales et la manière dont le gouvernement tente de riposter aux jugements qui s’accumulent contre les ordonnances Macron. Un peu plus bas, des extraits d’une interview (Libération) d’Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à Nanterre.
Barème « Macron » des indemnités pour licenciement injustifié : Panique à la chancellerie ?
Paris, le 7 mars 2019
Une mesure phare des ordonnances « Macron » plafonne les indemnités que les juges peuvent accorder aux salariés pour réparer les conséquences d’un licenciement injustifié. De nombreux conseils de prud’hommes ont déjà écarté l’application de ce barème arbitraire, considérant qu’il est contraire à plusieurs conventions liant la France, aussi bien au niveau européen qu’international.
Cette « jurisprudence » s’étend et commence à inquiéter sérieusement le gouvernement. Au point que le directeur des affaires civiles et du Sceau a adressé une circulaire à tous les procureurs généraux des cours d’appel – pratique rarissime sur une question de droit du travail – pour leur demander de recenser les décisions rendues sur la question de la conformité du barème à ces conventions internationales et de prendre la parole devant les cours d’appel, lorsqu’elles seront saisies de cette question, pour tenter de sauver ce chef-d’oeuvre d’injustice en péril.
Nous nous réjouissons que la Chancellerie ait pris la mesure de la fragilité de la disposition instituant un ce barème des indemnités pour licenciement non causé.
Nous nous réjouissons aussi qu’elle entreprenne de recenser le décisions concernant cette importante question et nous ne doutons pas qu’elle donnera un large écho à toutes ces décisions quel qu’en soit le sens.
Mais nous nous étonnons du contenu orienté de la documentation diffusée, comme si la Chancellerie pouvait prendre parti sur les décisions de justice à venir.
Nous regrettons par exemple que n’ait pas été diffusée, en même temps que les décisions du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, celle du comité européen des Droits Sociaux « Finnish Society of Social Rights c. Finlande », qui a déjà désavoué un barème similaire.
Nous nous étonnons que la circulaire ne s’explique pas sur la portée plus que limitée des décisions qu’elle invoque, et n’ait pas précisé, notamment, que le Conseil Constitutionnel n’est pas juge de la conformité des lois aux conventions internationales, et que la décision du Conseil d’Etat est une décision de référé, sans autorité de chose jugée, qui ne lie en rien les juges judiciaires. Mais nous ne doutons pas que les Parquets Généraux le savent quant à eux et qu’ils pourront rappeler ces principes lorsqu’ils concluront librement sur ces affaires.
Nous tenons à leur disposition l’analyse détaillée rédigée par le SAF, ainsi que les observations qu’il a déposées devant le Comité européen des Droits sociaux, saisi d’une réclamation actuellement en cours d’instruction (n° 160/2018), qui peuvent également être téléchargés sur les liens suivants :
– Pièce n°7
Contacts presse :
- Judith KRIVINE, Responsable de la commission sociale du SAF
jk@dellien.com / 06 82 00 88 37
- Vincent Charmoillaux, Secrétaire général du Syndicat de la magistrature,
contact@syndicat-magistrature.org, 06 24 98 01 92
- Extraits de l’interview d’Emmanuel Dockès à Libération
Professeur à Paris-Nanterre, Emmanuel Dockès explique sur quoi s’appuient ces décisions, «attendues» selon lui, et anticipe un combat juridique qui ne sera réglé qu’en cassation.
En quoi ces ordonnances violent-elles le droit international ?
Ce n’est pas pour rien que le droit international condamne le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse : c’est parce que ce plafonnement produit des conséquences extrêmement graves. Il change totalement le rapport au licenciement. Un salarié qui perd son emploi veut savoir pourquoi il le perd. C’est très important. Or, le plafonnement des ordonnances Macron permet à un employeur qui en a les moyens – souvent les grandes entreprises – de licencier les personnes sans leur donner aucune justification.
[…]
Les décisions s’appuient sur deux textes différents, l’un de l’OIT, l’autre étant la Charte sociale européenne. Y en a-t-il un qui est préférable ?
La convention de l’OIT est d’application directe incontestée : les juges l’utilisent régulièrement. L’application de la Charte sociale européenne est plus indirecte, plus discutée. Mais elle a un atout : c’est au nom de cette Charte que la Finlande a déjà été condamnée pour le plafonnement des indemnités dues en cas de licenciement injustifié. Cette jurisprudence, fixée par le comité européen des droits sociaux, rend la solution plus évidente. En pratique, les plaideurs mélangent les deux textes et les juges le font à leur tour dans leurs décisions. Et la Cour de cassation peut, elle aussi, s’appuyer un peu sur les deux textes, le deuxième servant d’outil pour interpréter d’autres conventions d’application directe incontestée.
Quel pourrait être l’avenir de ces décisions, en appel et en cassation ?
S’agissant des cours d’appel, il est probable qu’il y aura des décisions dans un sens et dans l’autre. La vraie question est de savoir comment statuera la Cour de cassation. Et là, il faudrait faire chauffer la boule de cristal. Mais on sait que la Cour de cassation a déjà invalidé des lois importantes au nom des textes aujourd’hui mobilisés pour invalider les plafonnements. Par exemple, le contrat nouvelles embauches (CNE) a été jugé contraire à la convention internationale de l’OIT. Un élément plus psychologique entre également en ligne de compte, le plafonnement des indemnités est une disposition anti-juges, à qui elle dit : «Vous évaluez mal les choses, vous êtes imprévisibles, vous faites mal votre travail, on va donc vous interdire d’évaluer vous-même les préjudices subis.» Or, la réalité du contentieux, c’est qu’en fait les juges étaient très prudents. Les cours d’appel avaient mis en place toute une série de règles prudentielles pour ne pas dépasser un certain niveau d’indemnités. Hormis dans quelques cas marginaux et dramatiques, la jurisprudence dans son flot habituel était très modérée. Du coup, les juges ont le sentiment que leur travail est méprisé, d’autant qu’il a été largement ignoré.
Réalisé par Frantz Durupt