Intervention de Sophie Binet à Matignon

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Voici l’intervention qu’a prononcée Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, lors de la rencontre de l’intersyndicale à Matignon le 5 avril 2023. Elle appelle la Première ministre à ne pas être « un fusible » de Macron  et à prendre sa « responsabilité » en retirant la pseudo-réforme. 

Rencontre Intersyndicale – Madame Borne, 1ère ministre – 5 avril 2023 Intervention de Sophie BINET

 Madame la Première Ministre, messieurs les Ministres,

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Je vais être brève parce que je pense inutile de répéter ce que nous martelons depuis trois mois, dans toutes les manifestations et sur tous les plateaux de télévision.

On n’est pas venu pour faire de la langue de bois pour faire une déclaration formelle. Votre propos liminaire est inquiétant parce qu’on n’a pas le sentiment de vivre dans la même réalité. On a le sentiment que vous nous recevez comme si de rien n’était, comme si le pays n’était pas dans un état inquiétant au bord de la rupture.

Pour quelle raison ? D’abord parce que nous vivons, nous l’avons dit et répété, une mobilisation sociale historique, depuis 3 mois, avec des millions de salarié·e·s dans les cortèges, avec des millions de grévistes. Mobilisation sociale qui a un fort impact économique y compris sur les entreprises, et pour nous ça pèse aussi.

Parce que des salarié·e·s qui sont en grève reconductible et qui, par leurs grèves reconductibles, mesurent l’impact sur la situation de leurs entreprises.

Personne n’a envie de fragiliser son entreprise, par exemple dans le secteur de l’énergie, l’impact de la grève est d’un milliard d’euros depuis le début du mouvement. Je le dis ici, le blocage du gouvernement, est un problème pour tout le pays, et fait peser de graves menaces sur la fourniture d’électricité pour les prochains mois.

La mobilisation sociale a un fort impact financier sur les salarié·e·s qui sont dans la mobilisation et sur les millions de grévistes. C’est entre 10 et 40 jours de grève pour des salarié·e·s qui vivent autour en moyenne, je rappelle le salaire médian qui est de 2.000€ par mois. L’état du pays est grave car traversé par une grande colère démocratique qui a été éveillée suite au 49.3 que vous avez fait le choix d’actionner.

Les jeunes sont maintenant nombreux dans la rue, confrontés à de graves violences policières, du fait des directives de maintien de l’ordre que votre gouvernement donne. Ces violences policières choquent l’opinion. Ces violences policières sont graves car elles creusent le fossé entre la police et la population. Nos organisations sont républicaines et nous ne pouvons, nous satisfaire de cette situation qui est extrêmement dangereuse pour le contexte démocratique de notre pays.

Et puis, enfin, la situation est grave du fait de la réforme des retraites que vous voulez nous imposer en force avec des sujets centraux qui ne sont pas traités.

La question centrale des salaires et le fait que pour la première fois depuis des décennies le salaire en euros constants baisse. Ce sont des millions de travailleuses et de travailleurs qui ne peuvent pas remplir leur frigo. Ce sont des millions de travailleuses et de travailleurs qui vivent le déclassement avec une qualification qui n’est pas reconnue parce que les salaires baissent.

C’est la question centrale environnementale. Le rapport du GIEC sorti il y a quelques jours a aussitôt été enterré Pourquoi ce silence radio ? Parce que ce gouvernement a enlisé le pays dans ce conflit sur les retraites.

Et tout ça pour quoi ? Tout ça pour quelle situation ? Tout ça pour une réforme qui n’a aucune justification économique, comme l’ont démontré le conseil d’orientation des retraites, les économistes, les organisations syndicales. Tous sont unanimes pour dire qu’il n’y a pas d’urgence sur notre système des retraites.

Cette réforme n’a pas de justification économique. Nous l’avons dit toutes et tous ici très clairement : il y a des alternatives de financement. Des propositions nous en avons des dizaines et des dizaines que vous avez refusées d’examiner.

Réouvrons ces propositions, trouver 12 milliards d’euros, est bien plus simple que les centaines de milliards d’euros trouvées face à la crise COVID. Trouver 12 milliards est bien plus utile que le déblocage de 300 milliards d’effort de financement de l’armement, suite aux tensions géopolitiques.

De l’autre côté, les conséquences de cette réforme sont violentes et concrètes pour des millions de travailleuses et de travailleurs dans le pays. Des millions de travailleuses et de travailleurs sommé·e·s de travailler deux ans de plus alors que les conditions de travail rendent leur travail impossible après 55 ou 60 ans et que vous faites le choix, au lieu d’étendre les départs anticipés, de casser les régimes pionniers, de casser les régimes spéciaux en les présentant comme des régimes favorisés.

Enfin, les conséquences de cette réforme, elles, sont violentes parce qu’elles feront exploser le chômage et la précarité des séniors. Je vous rappelle qu’il y a quelques semaines, Orange par exemple, a annoncé un plan de licenciement de plus 700 séniors de plus de 55 ans.

Alors je pense que ce qui nous rassemble ici c’est une colère froide.

Une colère froide qui est représentative de l’état d’esprit de millions de travailleurs et de travailleuses dans le pays.

Nous l’avons dit, nous le répétons, il n’est pas possible de tourner la page s’il n’y a pas de retrait de cette réforme.

Nous l’avons dit, et nous le répétons, il ne sert à rien d’espérer une division des organisations syndicales que vous avez tenté d’organiser depuis le début de ce conflit. L’intersyndicale elle est solide, elle tient, elle tiendra.

La colère froide, nous l’avons parce que les conséquences de vos choix vous les connaissez, parce que nous vous l’avons dit et répété. En l’état actuel des choses, votre stratégie de terre brûlée profite au Rassemblement National qui n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Quand arrêtera-t-on de jouer avec le feu Madame la Première Ministre ?

Alors Madame la Première Ministre, j’ai une demande solennelle à vous faire. Il est encore temps d’éviter le pire, il suffit tout simplement de retirer cette réforme, de renouer le dialogue.

Vous le savez, si malgré tout vous décidez de passer cette réforme en force, vous ne pourrez plus gouverner le pays. Il y a une défiance profonde dans le pays qui compliquera tout dialogue, et le pays risque le chaos.

Alors, Madame la Première Ministre, nous à la CGT, nous croyons à la responsabilité.

La responsabilité c’est, quand on est Première Ministre, nous on considère qu’une Première Ministre n’est pas un fusible, une Première Ministre n’est pas une exécutante, une Première Ministre elle est responsable devant l’Assemblée Nationale, devant l’opinion, devant le pays, devant l’histoire. Une cheffe du Gouvernement elle doit être capable de refuser de mettre en place une politique si elle est dangereuse pour le pays. Alors je vous le dis solennellement, cette réforme elle est dangereuse pour le pays, il faut la retirer.

Et je vous demande, Madame la Première Ministre, allez-vous enfin retirer cette réforme ? Je vous remercie.

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