Tribune parue dans l’Humanité du lundi 30 juin 2014
Les années passent, les méthodes demeurent !
Il y a presque 15 ans maintenant le SYCOPA CFDT (syndicat du Commerce de Paris, 1 700 adhérents) prenait la décision en congrès de se désaffilier de la confédération. Celui-ci s’était opposé à l’époque à l’extension des nocturnes au travail dominical et les jours fériés. Il avait recueilli le soutien de 92% de ses adhérents, ce qui n’avait pas empêché la Fédération de signer un accord avec l’UCV (la branche patronale parisienne du Commerce) désavouant ainsi les luttes menées par le syndicat sur ce secteur depuis des années.
Les mêmes orientations, les mêmes fonctionnements reproduisent plus d’une décennie plus tard les mêmes effets. Le SCID (syndicat interdépartemental du Commerce) est quant à lui carrément exclu pour avoir désobéi à la fédération, pour exactement les mêmes raisons : son opposition au travail en nocturne, sa désapprobation à la banalisation du travail le dimanche.
Au-delà de ces fonctionnements anti-démocratiques si peu respectueux de l’avis des syndiqués, dans un secteur où le syndicalisme est pourtant déjà très faible, cela doit interroger tous les militants syndicaux sur ce que signifie militer, implanter, développer l’action syndicale dans un secteur où travaille presque 1 salarié sur 3 du privé.
Le commerce et les services sont devenus le secteur dominant des économies de l’Union européenne. Du point de vue des salariés, de leurs conditions de travail et d’existence, c’est bien un prolétariat des temps modernes que l’on voit émerger.
En France, près de 6 millions d’actifs relèvent de ce champs professionnel, pour à peine 200.000 syndiqués toutes organisations syndicales confondues soit entre 2,5 à 3% contre 8% au plan national.
La déréglementation des horaires, le travail des jours fériés, le dimanche, ont créé une situation dans laquelle la concurrence ne s’exerce pas sur le service rendu aux consommateurs, mais bien sur le « moins-disant social ». Or, il faut bien comprendre que ce sont la déréglementation des horaires et cette concurrence sauvage qui ont entrainé inexorablement la précarité et la flexibilité, créant ainsi de véritables poches de misère.
Les employées du Commerce qui sont à temps partiel sans l’avoir choisi pour la plupart, font partie des millions de travailleurs pauvres que compte notre pays. Elles proviennent majoritairement du secteur du Commerce et des Services.
Pour elles, c’est le SMIC à vie (quand on a la chance) d’être à temps plein, qui est l’horizon indépassable.
Le salariat de ces professions subit « l’horreur économique » au quotidien, elles sont bien souvent le laboratoire antisocial de ce qui pourrait arriver (ou arrive !) aux autres salariés en matière de précarité, de flexibilité, de bas salaires, de conditions de travail et d’existence dégradées à l’extrême.
Au final, ce sont ces travailleurs en réalité travailleuses qui de surcroit sont exclus de la culture, des loisirs, pour le plus grand nombre les vacances sont un luxe, de la « mal-bouffe », du mal-logement.
Le désespoir social est grand, la reproduction sociale comme dirait Pierre Bourdieu est la règle.
Si le syndicalisme avait réussi à transmettre ses valeurs en passant d’un syndicalisme de métiers à celui de l’industrie en restant à l’image du salariat de la société, reconnaissons qu’il en est en retard sur les services pour au moins 3 raisons même si il y en a bien d’autres.
En premier lieu, il n’a pas su s’adapter en termes d’organisation de ses équipes syndicales aux formes des entreprises que constitue ce secteur.
La verticalité, le syndicat d’entreprise correspondait à ce qu’était le salariat industriel (Renault Billancourt, Peugeot, La sidérurgie, etc), l’horizontalité est largement le mode dominant, non seulement dans les entreprises de la grande distribution (Carrefour, Auchan, Leclerc…) mais aussi dans les hôtels, la sécurité, la restauration, ou encore les aides à domicile.
Deuxièmement, sans culture syndicale, sans reconnaissance des métiers et des qualifications, les salariés de ces professions souffrent de ne pas être reconnus. Ils ont besoin de se construire une identité, des références communes, une culture commune qui fédère et unit.
Un mineur était fier de l’être, un métallurgiste et un cheminot le sont, pas un technicien de surface, un agent de sécurité, une caissière, pourtant tout aussi utiles à la société que les autres professions.
Le syndicat devrait être aussi le lieu où l’on redonne cette fierté, cette conscience de faire partie d’une communauté, d’une classe.
Enfin, le mode de fonctionnement des organisations syndicales ne correspond pas à un salariat peu politisé, ne maitrisant pas les « codes », le langage, les enjeux où trop souvent les luttes de pouvoir l’emportent sur les débats, les confrontations de points de vue, pourtant si nécessaire.
Résultat, beaucoup de jeunes ne font qu’un passage éclair et s’en vont découragés.
Ce qui est donc posé c’est bien la question d’un fonctionnement réellement démocratique qui partirait d’en bas, que tous les syndiqués de ces professions puissent peser sur les orientations de leurs organisations en donnant leur avis, en gardant le pouvoir de décision, à partir du moment où ils payent une cotisation syndicale. C’est bien au syndicalisme de s’adapter au milieu dans lequel il intervient, et non aux salariés, aux nouveaux syndiqués qui devraient à tout prix se fonder dans un système qui ne leur convient pas.
Faire ce constat, je m’empresse de le préciser, ce n’est pas faire table rase de nos valeurs qui ont prévalu à la naissance du syndicalisme et qui se sont transmises jusqu’à aujourd’hui, c’est bien au contraire pouvoir les perpétuer.
En tout état de cause, le mouvement syndical doit s’interroger sur le retard qu’il prend à prétendre représenter le salariat tel qu’il est, et sur l’écart qui se creuse entre ses forces organisées et les « déserts » syndicaux notamment dans le secteur du Commerce et des Services.
Soyons conscients que pour continuer à être une force qui compte pour l’ensemble des travailleurs, pour le progrès social, il devra rapidement s’atteler à ce grand chantier. Son avenir en dépend.
Patrick BRODY – syndicaliste